Conte, Culture

La Terre en eut assez !

Deux familles se disputent depuis des siècles la même terre, les mêmes pierres, les mêmes puits. Jusqu’au jour où la Terre, lassée, décide de leur parler. Un conte d’aujourd’hui, aussi ancien que le monde.

Il était une fois… Quoi ? Quoi ? On n’est pas dans un journal pour enfants. C’est quoi ce début débile ?
En fait, cette histoire est un vrai conte,  pas toujours amusant, mais tellement vrai. Comparable aux contes et légendes de nos vieux pays européens.

C’est l’histoire de deux familles : frères, sœurs, cousins, cousines, incapables de se supporter et qui n’en finissent pas de se disputer la cour, le jardin, le puits, chacun persuadé d’avoir raison.

Depuis la nuit des temps, les deux branches ont vécu en alternance sur leurs terres. Vers l’an 1000, un roi s’intronisa dans la famille de Charly, plus organisée, et donna à son peuple une capitale et une descendance régnante. La famille de Robert se retrouva presque esclave, tolérée au mieux.

Le grand empire « Atlante » réduisit ensuite la famille de Charly au rang de subordonnée. Chassée, bannie, elle s’exila encore. Très instruits, ses descendants furent jalousés et interdits d’études. Ils se tournèrent vers le commerce, dans lequel ils excellaient. Nouvelle jalousie, nouvelle convoitise. Nouveau départ.

Et la famille de Robert, me direz-vous ?
Elle resta sur sa terre et annexa celle de Charly, sous la bénédiction de ses voisins.

Les années passèrent. Ballotés entre divers royaumes, les descendants de Charly durent attendre qu’une grande organisation internationale leur accorde une partie de leurs anciennes terres, à partager avec la famille de Robert. Une cohabitation étrange, pleine d’effets pervers, gouvernée d’abord par un lointain cousin venu d’une île prospère.

Les conférences s’enchaînèrent, les promesses aussi. On parlait de paix, de partage, de bonne volonté. Les mots flottaient dans l’air comme des bulles de savon que le moindre souffle de colère faisait éclater. Les représentants des deux familles souriaient devant les spectateurs, se serraient la main, puis retournaient aussitôt compter leurs pierres, leurs puits, leurs morts.

Les enfants grandissaient dans les ruines des jardins. Ils n’avaient jamais connu la paix, mais on leur racontait qu’elle avait existé autrefois, quand les grands-parents des grands-parents dansaient ensemble aux fêtes des récoltes. Peu à peu, même ce souvenir s’effaça. Il ne resta plus que la peur de l’autre, transmise comme un héritage, avec les clés de la maison et les photos jaunies.

Une nuit, la Terre en eut assez.
Depuis des siècles, elle supportait les cris, les pas, les tranchées et les clôtures.
Elle se mit à trembler, doucement d’abord, comme un soupir montant du sol. Puis sa voix s’éleva, une voix profonde, ancienne, faite de vent et de poussière
« Vous vous battez pour mes pierres, dit-elle, et pourtant vous ne m’avez jamais vraiment regardée.
Vous me retournez, vous me déchirez, vous me baptisez de vos noms.
Mais moi, je ne suis à personne.
Je ne suis ni de Charly, ni de Robert.
Je suis la mémoire de vos pas, le tombeau de vos pères, la promesse que vous oubliez à chaque génération. »

Le silence suivit, lourd et clair à la fois. Les puits cessèrent de donner de l’eau pendant sept jours, et le vent ne souffla plus. Certains y virent un châtiment, d’autres un signe.
Puis, au huitième jour, un enfant, nul ne sut de quelle famille il venait,  alla planter une graine dans la terre craquelée.

Il n’y eut ni miracle ni tonnerre.
Juste un mince brin vert, fragile, obstiné.
Et la Terre, apaisée, reprit sa respiration.

Et pourtant, rien n’était vraiment perdu… ou plutôt, rien n’avait changé.
Des années plus tard, un oncle riche et puissant décida, au nom de la justice, de rendre à la famille de Charly ce qu’il estimait lui appartenir.
Mais pour le faire, il chassa la famille de Robert hors de ses terres, en lui promettant la paix ailleurs.

Une nouvelle guerre éclata, plus bruyante, plus moderne.
Les conférences reprirent, les promesses aussi.
Et quelque part, sous les ruines, le mince brin vert continuait de pousser,  sans que personne ne le regarde. Parfois, il faut que la Terre parle pour que les hommes se taisent.
par Pierre du Nom

Recherche, Sciences

Fribourg, terreau fertile de la bioéconomie

À Fribourg, la bioéconomie n’est pas un concept abstrait mais une réalité en pleine expansion. De Bluefactory à Grangeneuve, laboratoires, écoles et entreprises unissent leurs forces pour transformer le vivant en moteur d’innovation durable.

Un canton en avance

Dans un laboratoire du Bluefactory, un jeune chercheur soulève un pot de verre. À première vue, un liquide ambré, presque du miel.
« C’est du plastique », sourit-il, « mais il vient du maïs et non du pétrole. »

Ce n’est pas de la science-fiction : c’est la bioéconomie, ce champ encore méconnu où les déchets deviennent matières premières et où les laboratoires cultivent des idées vertes.

L’idée est simple, mais révolutionnaire : faire en sorte que chaque matière issue du vivant, plante, micro-organisme, déchet organique serve à produire autre chose, dans un cycle vertueux. Une économie du vivant, qui marie technologie et bon sens paysan.

Une stratégie gagnante

Les pieds bien ancrés au sol et le regard tourné vers l’avenir, le canton de Fribourg a su faire fructifier son passé rural et sa tradition agroalimentaire.
La bioéconomie, qui englobe l’ensemble des activités de production, de transformation et de valorisation de la biomasse pour fabriquer denrées, molécules ou matériaux innovants, constitue désormais un axe prioritaire de sa stratégie économique.

À la Haute École d’ingénierie et d’architecture (HEIA-FR), des chercheurs développent des biocomposites capables de remplacer les plastiques à usage unique. Dans la campagne voisine, des agriculteurs livrent leurs résidus végétaux à une usine pilote qui en extrait du biogaz.
« On ne parle plus de déchets, mais de ressources dormantes », souligne Anne-Laure Meier, coordinatrice d’un projet interdisciplinaire.

Fribourg accueille le Cluster Food & Nutrition de la Région Capitale Suisse et le siège central d’Agroscope, centre de compétence national en matière agricole. Il est aussi membre de la Swiss Food & Nutrition Valley et abrite deux NTN Innovation Booster, Swiss Food Ecosystems et Future Food Farming, dédiés à la nutrition, à l’économie circulaire et aux emballages durables.

Fortement investi dans les sciences de la vie, le canton profite d’infrastructures de pointe comme le Biofactory Competence Center et l’institut ChemTech.
Dans cet environnement propice à l’émulation, entreprises de pointe, centres de compétences et instituts spécialisés collaborent étroitement. Fribourg s’impose ainsi comme chef de file suisse d’une bioéconomie prometteuse et ouverte à la technologie.

Grangeneuve, carrefour d’innovation et de durabilité

Véritable pôle d’excellence au service des métiers de la terre et de la nature, l’Institut agricole de Grangeneuve est le centre de compétence incontournable du canton.

Il propose des formations en agriculture, agroalimentaire, économie forestière, horticulture, intendance et production laitière.
Ses écoles supérieures en agrocommerce, agrotechnique, paysagisme et agroalimentaire,  orientées vers le marché du travail, préparent les étudiants à des fonctions de cadre intermédiaire ou de spécialiste.

Dotée d’une halle technologique ultramoderne, l’institution valorise les ressources agricoles en denrées à haute valeur ajoutée. Ces équipements complètent d’autres réalisations récentes : une ferme-école à la pointe, une installation de biogaz et un centre de compétences sur le lait cru.

Grangeneuve profite de synergies avec Agroscope, sa voisine, et illustre l’ambition fribourgeoise d’unir innovation, durabilité et formation.

Le vivant comme avenir

Le 10 octobre 2024, le cœur de la bioéconomie a battu à Fribourg.
Le Bioeconomy Forum, organisé par la Promotion économique du canton (PromFR), a réuni plus de 200 personnalités venues de Suisse et de l’étranger dans le bâtiment B du Bluefactory.

En une demi-journée, la manifestation a offert un panorama inédit de la valeur ajoutée de ce secteur : une économie du vivant où tout se transforme et rien ne se perd.
L’événement a aussi mis en lumière la stratégie cantonale de soutien aux start-up de la bioéconomie, un véritable one-stop-shop pour les accompagner à chaque étape de leur développement.

Dans les bureaux lumineux du Bluefactory, de jeunes entrepreneurs imaginent déjà des biomatériaux capables d’emballer sans polluer la planète.
« C’est une révolution douce », confie l’un d’eux. « On avance à petits pas, mais on change la manière de penser l’industrie. »

Retour au laboratoire : le chercheur rebouche son pot de “plastique de maïs”.
Et si la nature avait toujours eu la solution ? Il suffisait peut-être de l’écouter.
C.G.