Les animaux diurnes entrent dans la nuit

La Fontaine aurait sans doute commencé ainsi :
« Maître Renard, au lever du jour, s’étant levé, d’une poule bien grasse, s’est mis à rêver. »
Je ne suis ni poète, ni La Fontaine, mais j’imagine très bien notre renard matinal s’élançant dans les champs familiers, flairant le vent, évitant les zones où rôdent les chiens.

Ce matin-là pourtant, quelque chose a changé. À peine sorti de son terrier, il se fige, la queue à l’horizontale, les sens en alerte. Un grondement monte, des bruits s’amplifient, des odeurs inconnues troublent l’air. Le doute le saisit, mais la faim le pousse en avant. Il rejoint son poulailler favori, se glisse par une faille dans le grillage, attrape une poule à la gorge et s’enfuit. Le coq donne l’alarme, le fermier jure et court, mais trop tard : le renard a disparu dans la haie, sa proie entre les crocs.

Sur le chemin du retour, il longe un champ où une grosse machine pétarade. Effrayé, il change de direction, traverse une petite route où passent sans relâche des voitures brillantes de phares. Il attend longtemps, immobile, avant d’oser franchir le bitume. Enfin, il retrouve son terrier et ses quatre petits affamés. Ouf ! Quelle aventure… Il se dit qu’il faudra trouver un autre moment, un autre chemin. Et, sans montre suisse, il commence à sortir un peu plus tôt… puis un peu plus tard. Jusqu’à devenir chasseur de lune.

De la forêt jurassienne à la savane africaine

Le sanglier, lui, s’est adapté plus vite encore. La nuit, il se sent maître du monde. Les bruits humains s’apaisent, les sentiers se vident, et la forêt redevient sienne. Tranquille, il évite les randonneurs, les promeneurs et ces drôles de bourdonnements à deux roues que les hommes appellent moto-cross.

Mais parfois, grisé par le silence, il s’aventure un peu trop loin. Sous la lueur blanche des phares, une ombre massive traverse soudain la route : un sanglier, suivi de ses marcassins. Le danger ne vient plus du fusil du chasseur, mais de ces monstres d’acier lancés à toute vitesse.

Ces scènes se répètent, la nuit, dans nos campagnes. Les sangliers, les renards, les biches et même les hérissons apprennent à vivre dans l’obscurité, à se cacher du jour devenu trop bruyant, trop lumineux, trop humain.
Autrefois, les hommes craignaient la forêt.
Aujourd’hui, c’est la forêt qui nous craint.

Et ce phénomène ne se limite pas à nos contrées. Sous d’autres latitudes, les mêmes adaptations se dessinent. Ainsi, des chercheurs ont découvert que les éléphants, pourtant animaux diurnes, modifient eux aussi leur comportement pour échapper au danger humain.
Dans certaines régions d’Afrique, ils marchent désormais davantage la nuit que le jour, afin d’éviter les braconniers. Les chercheurs concluent, après avoir suivi leurs déplacements entre 2010 et 2012 :
« L’éléphant, le plus grand mammifère terrestre, adapte son comportement pour sa sécurité. »

Plus au nord, dans nos villes européennes, les rouges-gorges s’ajustent à un autre type de menace : le vacarme et la lumière. Au Royaume-Uni, à Sheffield, des scientifiques ont constaté que ces petits oiseaux se mettent à chanter la nuit, surtout dans les zones où le niveau sonore est élevé durant la journée. Ils trouvent ainsi, la nuit, un moment de calme pour se faire entendre.

Quand les animaux nous montrent le chemin

Les animaux changent d’heure, s’invitent dans la nuit pour échapper à nos jours trop pleins.
Et nous, obstinés à tout éclairer, vivons le jour comme la nuit, éblouis d’écrans et de phares.
Peut-être qu’en éteignant un peu, nous leur rendrions la lumière du jour…
et retrouverions, enfin, la nôtre.
V.vA.

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