Été 2015: l’attente des migrants en Grèce.

Leur voyage a commencé dans la guerre, la pauvreté et l’oppression. Ils fuient par centaines de milliers, de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, ou encore d’Erythrée. Un flot incessant d’humanité conduit par la peur, l’insécurité et le manque d’opportunités. Théophile était en Grèce cet été, pour réaliser un projet d’Amnesty International. Il raconte ce qu’il a vu.

Photos: Théophile Bloudanis

 

L’attente à Kos

Le mois d’août sur l’île de Kos voit un afflux massif de réfugiés depuis la Turquie. Amarré sur le quai principal depuis une semaine, le ferry « Eleftherios Venizelos » accueille près de 2’500 personnes. Il a été affrété afin de faire face l’arrivée des migrants, toujours plus nombreux. Le navire devrait quitter l’île dans quelques jours pour Athènes. Sur une partie du port, les embarcations avec lesquelles les migrants sont arrivés s’entassent par dizaines.

En longeant les anciennes fortifications vénitiennes en direction de la ville, des enfants assis sur des bornes attendent et regardent le port. Un autre groupe joue au football sur une place réservée aux bus touristiques. Sur les plages et les rues de la ville, des familles ont placé leurs habitats temporaires. Depuis la mi-juillet, l’île a atteint ses limites. C’est que les installations et structures d’accueil sont quasi inexistantes, si ce n’est les tentes « igloo » mises à disposition ainsi que les distributions de nourriture et de boissons, pour la plupart bénévoles. Comme à Athènes un mois plus tôt, les habitants et même touristes n’hésitent pas à apporter des vivres de première nécessité.

Ils sont près de 7’000 sur Kos, sur un total de 33’000 habitants. Tous sont dans la ville et le port principal de l’île. Au manque de structures s’ajoutent les énormes retards et blocages des procédures d’enregistrement, du fait qu’elles sont confiées à un personnel de police « de base » qui se révèle dépassé par la tâche.

Devant le poste de police, une centaine de personnes attendent de pouvoir entrer et se faire enregistrer. Afin d’éviter des confrontations, trois policiers anti-émeute sont placés devant la grille du poste. « Voilà déjà cinq jours que je suis là… » confie un jeune Syrien, qui veut rester anonyme, « Hier les policiers ont frappé des gens qui n’en pouvaient plus. J’en ai eu marre aussi, je me suis mis derrière, à l’ombre. Je fume pour passer le temps ».

Kos est un point d’entrée et d’enregistrement. C’est la fin de l’odyssée vraiment périlleuse en mer Egée. À partir d’ici, ils embarquent à bord du premier ferry à destination d’Athènes. Etant donné la saison, ces navires sont pleins de touristes qui rentrent de vacances. D’août à septembre, on assiste à un certain désengorgement des îles. Et pour la première fois, les migrants effectuent cette traversée vers le continent européen sans danger.

À bord de l’un de ces ferrys, le « Nissos Rhodos », un jeune Syrien s’approche de moi et me demande une cigarette. Je lui pose quelques questions. Dans un anglais balbutiant, il me dit : « Je vais me rendre en Allemagne avec mes amis. Je n’ai pas de famille là-bas, je n’ai pas de famille ici. Seulement mes amis. Ma famille est… » Perdant ses mots, il mime une explosion avec ses mains. Il ne veut pas me dire son nom, refuse d’être photographié. Il me remercie et s’éloigne.

 

« Ils ne font que bronzer »

« On a pas d’eau potable ! On boit par ce robinet sale ! Les enfants sont malades ! On manque de nourriture ! On ne sait pas quoi faire ». Paroles d’une mère afghane au parc Athénien « Pedion tou Areos » ou Champ de Mars, par cette chaude journée de juillet. Voilà déjà une semaine que près de 300 personnes ont trouvé refuge entre les bustes des héros grecs de la révolution de 1821. Des tentes, des sacs de couchages et même des cartons constituent l’habitat de ces migrants arrivés de Kos. Enfants, parents et grands-parents sont présents sur les lieux, n’ayant pas pu trouver un meilleur refuge. Pourtant, la capitale hellène est dotée de structures d’accueil pour réfugiés. Dans l’enceinte du parc, une nuée de bambins court, suivie de leurs mères, vers l’une des entrées : un groupe de personnes arrive avec des sacs de nourriture, d’eau et de vêtements. La joie laisse place pourtant au chaos : enfants et adultes se ruent sur les vivres et emportent tout ce qu’ils peuvent pour leurs proches. Ce ne sont que des quidams qui apportent un semblant d’aide à ces gens.

Un réel mouvement de solidarité des habitants alentour s’accentue et se transmet dans la capitale : des journalistes de la télévision grecque sont présents et questionnent de jeunes Afghans. Mohammed, un membre de la communauté afghane installée dans Athènes depuis plusieurs années, sert de traducteur improvisé : « Quand ils sont sortis du ferry, ils ne savaient pas où aller. Les autorités ne semblaient pas vouloir les aider, de quelque manière que ce soit. Aucune personne compétente, n’a apporté ne serait-ce qu’une bouteille d’eau ici. C’est le seul endroit qu’ils ont trouvé avec de l’ombre ». En effet, les autorités n’ont fait que placer deux WC mobiles dans le parc, car pour eux, les réfugiés ne font que « bronzer » sur les places de la capitale, paroles de l’ex-vice-ministre à l’immigration, Tassia Christodoulopoulos, quelques mois auparavant.

Tous veulent se rendre au nord de l’Europe, notamment en Allemagne, en Suède et Grande-Bretagne. Ils y parviendront, disent-ils, par tous les moyens possibles : « On ne veut pas rester ici. On va partir au nord. En train, en bus ou à pied, on partira » dit Ahmed, son sandwich et bouteille d’eau en main. Pour la plupart d’entre eux, la Grèce est d’abord une porte d’entrée puis un lieu de passage vers l’Europe. Athènes est un lieu de transition pour les migrants. Qu’ils considèrent comme « un mauvais moment à passer », mais ils arrivent, tant bien que mal à quitter la ville et continuer leur trajet.

 

Et la suite ?

De janvier à octobre 2015, près de 590’000 migrants sont arrivés en Europe et 450’000 d’entre eux sont entrés depuis la Grèce, selon le Haut Commissariat d’aide aux Réfugiés. Les drames se sont succédés tout au long de l’automne, et pourtant, encore aujourd’hui, 7’000 traversées sont effectuées par jour entre la Turquie et les îles grecques. L’hiver qui approche rend les passages beaucoup plus dangereux et « oblige » les migrants à traverser le plus vite possible.

À cela s’ajoute l’entrée des réfugiés dans les pays d’Europe du Nord. Face à cet afflux massif, les dirigeants européens peinent encore à s’entendre sur cette question. L’Allemagne et certains autres pays accueillent comme ils peuvent les migrants. On a vu d’autres pays, comme la Hongrie, ériger des barrières pour stopper les arrivées. Une crise qui divise l’Europe, non seulement en politique, mais aussi parmi les populations : manifestations pour et anti-migrants se succèdent en Allemagne ou en Pologne, par exemple.

Les dirigeants européens doivent pourtant s’entendre sur cette question, les drames se succédant en mer Egée. Les pressions exercées par des ONG comme Amnesty International ne suffisent pas, apparemment, à trouver un plan commun. Les tergiversations politiques ne sont pas prêtes à se poser des questions fondamentales. Ne serait-il pas plus simple que les réfugiés soient enregistrés par l’Union européenne en Turquie, d’où ils gagneraient la Grèce de manière sûre, hors des périlleux réseaux de passeurs ? Pour que, 65 ans après la création de l’Union européenne, le mot « union » puisse enfin trouver son sens.

TheBlue

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