Du vin divin, disent-ils en Lavaux

L’action se passe au bar de l’Hôtel Major Davel à Cully, au bord du lac léman. Et le petit bijou littéraire de ce mois-ci retrouve une partie de ses origines dans cette région viticole.

Des clients boivent l’apéro au bar tandis qu’au dehors la musique du festival de jazz bourdonne sous le soleil printanier. Ils parlent des vignes du Lavaux et du vin romand. Il y a un vigneron, à l’accent vaudois bien trempé, parmi les piliers de bistrot. Selon lui, les consommateurs préfèrent de plus en plus le malt au raisin.

Ce n’est peut-être pas faux. Il évoque ce qui fait probablement la différence : le prix. On ne paie pas le demi-litre de houblon autant que le demi de rouge. Il se plaint notamment que le travail des ceps manque de reconnaissance. Enfin, il rappelle à son interlocuteur à la barbe blanche que la Suisse reste avant tout un pays de vins. Et quels vins divins ! Le feu poète valaisan Maurice Chappaz ne dirait pas le contraire.

S’il fallait comparer, juger de la classe de ce blanc que tout le monde boit vers les onze heures matinales, certaines fois la bouche et la langue diraient : je crains, c’est-à-dire, j’admire le pays d’un seul plant. Ce pays de douceur et de fraîcheur a affiné totalement le dieu rude et léger qui a passé les monts, ce Chasselas qui n’est en France qu’un vulgaire et bon raisin de table, indigne de la survie des flacons. Le terroir et la sélection l’ont révélé. Les bénédictins ont laissé dans les types du Lavaux leur méticulosité érudite. Il n’est que de voir d’ailleurs ces vignes propres, aérées, taillées avec réserve pour savoir que si ce raisin est très sain, le vin sera grand. Le nom des villages est le nom des crus. Chaque bourg avec ses toits de tuiles mauves, ses maisons costaudes, sa placette et ses gentilles pintes suce toute la treille.

Ce chanoine fut aussi un vigneron pieux et un véritable religieux. Ce qui pose évidemment le décor du petit Chant des cépages romands. Ce texte écrit en hommage à la vigne dans toute sa matérialité, dans toute sa passion. À la fois déclaration d’amour à un métier, éloge du divin et sastifaction du travail bien fait qui mérite un bon verre entre amis après le labeur.

Les éditions Zoe ont publié ce précieux ouvrage en juin 2009 dans la collection Mini, présenté comme la petite bibliothèque idéale de la littérature suisse. Remercions les éditeurs ! On y rencontre un Maurice Chappaz passionné par les ceps et orfèvre de mots à consonances fortement régionales, pas seulement. La lecture se fait entre deux gares pour cinq francs suisses. Juste le temps de s’égarer entre les lignes, lamper une bonne dose de poésie et puis succomber à la délicate ivresse littéraire.

Que penserait le vigneron du bar de l’Hotel Major Davel à Cully ? Il dirait certainement santé mais défendrait ensuite l’Epesses vaudois plutôt que le Chasselas. Il oublierait la bière car la beauté des mots de Maurice Chappaz lui suffiraient pour convaincre son ami de préférer le liquide dionysiaque.

Maurice Chappaz, Chant des cépages romands, Editions Zoe, 2009

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