STREET ART. Soumis à un débat sans fin, le graffiti demeure un intriguant mode d’expression. Tandis que certains en interprètent les messages, d’autres, n’y décèlent que de la provocation. Jugé répréhensible et considéré illégal, cet art urbain convie le monde à s’interroger quant aux limites de la liberté d’expression.
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Le contexte politico-social actuel le démontre particulièrement. Tout ne peut pas être dit et tout ne peut pas être montré. De cet irréfutable fait découle les restrictions de la liberté. Aux yeux de beaucoup, le graffiti signale la dépravation d’une ville. Il serait le résultat d’une mauvaise gestion des autorités. Certains vont même jusqu’à dire qu’il indique une concentration de délinquance. Au sens du code civil suisse, les graffitis relèvent du vandalisme. Ils sont donc préjudiciables au même titre que l’incendie volontaire d’un immeuble. Selon la prévention suisse de la criminalité, « le vandalisme est l’expression d’une rage aveugle ou d’une simple volonté de détruire ». Il est étonnant d’arriver à la conclusion selon laquelle le but recherché d’un graff’ serait l’expression d’un insatiable désir de dégrader. Cela n’est pourtant pas le cas. Ce mouvement pictural devrait être distingué. Le choix des armes n’est pas le même. Un « vrai » vandale utilisera une batte pour cabosser la voiture de son voisin. Un graffeur, lui, préfèrera se manifester sur un mur à l’aide d’une bombe aérosol. Son action sera représentative de ses opinions et ses mains transcriront ses sentiments à travers un embellissement esthétique. Et puisque les principes fondamentaux de l’art semblent avoir été oubliés, il serait peut-être temps de rafraîchir les mémoires.
L’art exprimé sur les murs remonte à la préhistoire. Il symbolise, par sa singularité, la marque de toute une époque. Aujourd’hui encore, il représente des générations et témoigne de notre histoire. Il rend compte d’un contexte culturel et social. Il est franc, sincère et réaliste. Il perturbe, envahit et touche. Prenant le Mur de Berlin en perspective, cette création de l’esprit devient un héritage. De par l’engagement de certains de leurs messages, les graffeurs revendiquent des changements. Ils dénoncent et contestent. Les remparts séparant les deux Allemagnes furent, dès leur construction, assaillis de paroles d’espoir. À sa chute, le mur devint un lieu de recueil historique. Porte-parole de toute une génération, les graffitis sont des partages d’idéaux. Il va d’ailleurs sans dire qu’ils possèdent également une dimension identitaire. En se promenant dans la rue, ils sont tout autour de nous, situés aux endroits les plus improbables, même si on n’y prête pas forcément attention. En prenant le temps de les observer, une majorité de gens pourrait se laisser surprendre par la force des idées qui en émanent. Elle pourrait, par la même occasion, risquer d’y reconnaître les siennes.
Les dessins rendent compte de bien plus qu’ils ne le laissent paraître au premier regard. En définitive, le but est de déranger, de choquer. Afin de tendre vers cet objectif, les graffeurs doivent s’adapter à un environnement qui leur est plus qu’hostile. En effet, malgré le statut attitré à leurs créations, ils s’évertuent à en perpétuer le rite. Il est possible d’émettre une théorie à ce sujet. Hypothétiquement, le fait que les graffitis soient interdits n’est pas pour leur déplaire. S’ils étaient légalisés, peut-être ne seraient-ils pas aussi attrayants. Peut-être que l’illégalité participe au sens de cet art. Peut-être que le degré de liberté recherché n’est assouvi que lorsque qu’il refuse de se plier aux restrictions imposées par d’autres.
Transmettant leurs messages dans la rue, à la vue de tous, ces artistes ne laissent pas le choix à la société d’accepter ou non leur art. Si cette dernière ne veut pas le regarder, ils la forceront à voir.
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