Ernest Hemingway – « The Old Man and the Sea »

Relire un classique n’est jamais une mauvaise idée. Le découvrir encore moins. Surtout lorsqu’un homme dans un restaurant vous évoque quelques colères humaines trop souvent refoulées.

Photo: Alexandre Wälti

La neige est tombée. Les médias reparlent toujours de cette banalité, année après année. Alors pourquoi ne pas la reprendre dans ces lignes. Mais plutôt trouver une perspective plus singulière. Celle de cet homme qui est assis à la table dans le coin du restaurant. Il est seul devant trois journaux : Le Temps, Le Monde Diplomatique et Terre & Nature.

La neige est belle. C’est évident. Mais pourquoi doit-on informer la population qu’il a neigé alors que le drap blanc recouvre toutes les rues jusqu’en plaine ? C’est l’hiver, rien de quoi faire un titre, semble-t-il pensé alors qu’il lève Le Temps. La Une parle pourtant d’un naufrage en Italie. C’est un drame humain qui s’est répété à plusieurs reprises durant l’année 2014. Mais personne ne semble vouloir trouver une solution, se battre. Tous se renvoient la responsabilité.

Le vieil homme semble désespéré devant les nouvelles du jour. Il paraît même blessé. Mais il a aussi de la colère dans le regard. Il ne semble pas résigné à abandonner. Abandonner quoi ? Personne ne le sait. Il a un visage de battant. Il possède la détermination d’un homme qui ne craint plus rien. Il retourne le journal. Regarde la Une. Secoue la tête en marmonnant.

I do not understand these things, he thougth. But it is good that we do not have to try to kill the sun or the moon or the stars. It is enough to live on the sea and kill our true brothers. / Je ne comprends pas ces choses, pense-t-il. Mais il est bon que nous ne devions pas tenter de tuer le soleil ou la lune ou les étoiles. C’est assez de vivre sur la mer et tuer nos véritables frères.

Lire un classique de la littérature et le mettre dans un contexte où il n’a rien à faire. Confronter la neige à la mer. Alors que les marées de flocons semblent s’abattre sur nos contrées en vagues régulières. C’est le défi, parfois, de notre Livre du Quotidien. Choisir un moment apparemment banal de tous les jours et le confronter à la lecture en cours, trouver un lien, par souci de rappeler la grandeur et la singularité d’une œuvre.

Ernest Hemingway n’est de loin pas un inconnu. Et s’il l’est encore pour vous, lisez-le ! Lisez plus précisément The Old Man and the Sea, Le Vieil Homme et la Mer, en version originale de préférence, c’est écrit avec un vocabulaire simple. Savourez la vitesse de la langue anglaise, sa simplicité et son franc parlé, et goûtez l’inimitable précision de ce court récit du Prix Nobel américain. Chaque mot est à sa place.

Ce récit traverse le temps sans prendre une ride, ni réduire l’impact des mots et des images qu’il contient. Hemingway y écrit la dureté de la mer et l’abnégation d’un vieil homme. C’est un combat de boxe au large de Cuba dans les lumières marines. C’est un affrontement dans la douleur et le respect. C’est une leçon de courage et d’humilité. D’un côté, les mains endolories et éraflées d’un pêcheur solitaire n’ayant rien pêché depuis plus de quatre-vingts jours. De l’autre côté, un poisson énorme et des requins qui causeront plus de douleur encore au pêcheur.

Ce duel occupe les trois quarts du livre. La raison voudrait qu’on y consacre qu’une seule page. Mais Hemingway a heureusement décidé d’en faire une narration avec laquelle il ne laisse aucun répit au lecteur. Comme s’il l’invitait à participer au combat. Comme s’il l’obligeait à se poser les mêmes questions que le vieil homme. Comme s’il le prenait avec lui dans le skiff, ce bateau de sport très long et inadapté à la pêche, dans lequel le vieil homme affrontera ses limites les plus extrêmes.

‘But man is not made for defeat,’ he said. ‘A man can be destroyed but not defeated.’ / ‘Mais l’homme n’est pas fait pour la défaite’, dit-il. ‘Un homme peut être détruit mais pas vaincu.’

C’est ce que l’homme semblait penser à sa table devant une tasse de vin chaud. Dehors, il neigeait. Il neigeait en vagues régulières. Le vent frappait contre les vitres du restaurant. C’était comme dans un bateau sauf que l’eau était de la poussière blanche et des bourrasques floues. Il est vrai que la neige offre un thème agréable en contraste avec les nouvelles de naufrages et autres drames humains présents quotidiennement dans les journaux. Mais n’est-elle pas moins importante que les hommes luttant pour leur vie en mer ou sur la terre ? Où sont les histoires d’hommes, les reportages ?

Ernest Hemingway, The Old Man and the Sea, Arrow Books, 2004

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