À l’occasion des 150 ans du Traité d’amitié et de commerce entre le Japon et la Suisse, signé par Aimé Humbert, le musée d’ethnographie de Neuchâtel met à l’honneur le pays du Soleil Levant.
En juin 2014 l’exposition ouvre ses portes. Un long travail d’haleine en amont : collaborations internationales, sélection de l’iconographie, transformation de la salle principale, élaboration d’un fil conducteur afin de faire voyager le visiteur. Questionner l’imaginaire au travers des 476 gravures rapportées par Aimé Humbert de sa mission. Interroger la perception des Suisses sur le Japon, et la sienne par la même occasion.
La visite commence au centre du musée, la salle est agencée comme une horloge géante, spécialement aménagée pour l’occasion, le temps comme sujet de départ. La vie d’Aimé Humbert est empreinte de connaissances. Très tôt il se tourne vers la politique en tant que conseiller d’État, mais il est également président de l’Union Horlogère. Guidé par ses idéaux du protestantisme radical, héritage de sa famille, il va mener une vie de politicien jusqu’à ses 42 ans. L’envie d’exploration le prend alors, avec l’idée de découvrir ce pays si lointain qui fascine. L’inconnu et l’ambition le poussent à préparer sa mission diplomatique, il se documente énormément et, en 1863, part pour le Japon.
S’en suivent huit mois d’observation et de collectes iconographiques. Il reviendra avec plusieurs milliers d’images, des photographies, des peintures, mais principalement des gravures dont 476 qu’il va utiliser pour illustrer son ouvrage : “le Japon illustré”, publié en 1870.
Il est alors le premier à documenter le passage de l’ère Edo à l’ère Meiji au Japon. Les seuls étrangers à être présents sur l’archipel à cette époque sont les Hollandais. Ce différent inconnu est sujet à méfiance de la part des Japonais, qui surveillent et gardent les étrangers. Cet accueil plutôt froid n’empêche en rien Aimé Humbert d’accomplir sa mission. Il considère par ailleurs son expérience comme étant un témoignage par l’image, à défaut d’une approche directe des habitants.
La première salle offre un panorama à 360 degrés de l’oeuvre d’Aimé Humbert, de sa vie, de ses préoccupations et de ses idéaux. Un premier « avant-pendant-après » mis en lumière par des archives et des objets rapportés du Japon. Une première perspective au point de vue multiple, mise en exergue par la dimension temporelle ainsi que l’importance du commerce.
La deuxième salle, point phare de l’exposition, se découpe en deux parties : la première expose la diversité des sujets documentés par le diplomate durant son séjour. C’est un voyage rectangulaire aux accents du Soleil Levant qui guide le visiteur. Son but ? Rendre compte de la variété, à l’image d’Humbert, beaucoup moins attiré par l’esthétisme que par la collecte d’estampes, de dessins et de photos qu’il accumule et annote.
La visite suit son cours, elle s’installe au sein du cortège funèbre représentant la fin d’une ère, passe par les paysages Japonais qui ont marqué le diplomate. Le Mont Fudji, Nagazaki, des lieux aux contours du relief suisse, similitudes qu’Humbert notifie et remarque. Voyage ensuite autour de l’enfance, de la politique, des guerres et des catastrophes naturelles. La religion est par ailleurs un thème assez controversé et discuté par Humbert, le bouddhisme lui semble être une hérésie et il n’hésite pas à le critiquer vivement. Le théâtre et la vie culturelle forment aussi un sujet qui le fascine, au contraire de la nudité, thème récurrent au Japon et largement documenté en Occident, mais nullement représenté par le diplomate.
Un formidable tour d’horizon des découvertes japonaises. La richesse de la collection est étayée par la deuxième partie de la salle : au premier étage, construite comme un miroir reflétant les thématiques abordées juste en dessous. Une plongée moderne dans le Japon d’aujourd’hui et d’autrefois, mais surtout au sein de ce qu’il a transmis à nos sociétés Occidentales.
Fusion entre réalité et imaginaire qui se conjuguent mais surtout fascinent. Des arts martiaux aux animés, en passant par les mangas et les tatouages, l’apport du Japon est indéniable. La pratique universelle du zen en est la preuve : depuis l’image qu’en a rapportée Humbert, l’imaginaire s’est étendu, se déployant dans les modes de vie et dans les passions. Une architecture révélatrice du processus de perception et d’interprétation. Tout comme le travail des graveurs reconstituant des images souvent idéalisées à partir de véritables peintures ou photographies, le travail du visiteur se trouve dans l’image personnelle qu’il recrée et modèle d’un Japon lointain, et pourtant si proche.
La dernière vision en quittant l’exposition laisse une trace : c’est la reproduction d’une armure de samouraï posée sur une chaise. Qu’en garde le visiteur ? Est-il sensible à son réalisme ou plutôt à l’imaginaire guerrier qui l’accompagne ?
Jusqu’au 19 avril 2015 libre à chacun de s’en faire sa propre idée, sa propre interprétation.
NoAn.