Depuis le 10 octobre et jusqu’au 21 décembre 2014, les visiteurs de Palexpo à Genève sont invités à découvrir au travers d’une exposition touchante et captivante, une multitude d’objets, de biens personnels, d’anecdotes et de photographies, relatant d’une forme intimiste le destin tragique des 2’228 âmes ayant vécu, sinon survécu, le naufrage du Titanic, le paquebot de tous les superlatifs.
Photo: G-Ls
L’introduction
Nous sommes dans les premières années du 20ème siècle. En cette période d’avant-guerre, le monde est atteint d’une frénésie moderniste. Les avancées technologiques et les découvertes scientifiques invitent à l’ouverture sur le monde. Les paquebots assurent le contact et favorisent la transhumance entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Toujours plus modernes, rapides, luxueux et sûrs, ces géants des mers reflètent par leurs prouesses la rivalité des compagnies qui les fabriquent. La White Star Line Company et son président Joseph Bruce Ismay espèrent s’assurer une place de choix sur le marché des voyages transatlantiques grâce à un partenariat conclut avec Lord William James Pirrie des chantiers navals Harland&Wolff. Cette entente va donner naissance aux deux plus grands paquebots de plaisance que le monde ait connu jusque-là: l’Olympic en 1910, suivi deux ans plus tard, par son tristement célèbre petit frère, le RMS Titanic.
La construction
Le contexte de l’époque est présenté dans l’antichambre de l’exposition. Au long du premier couloir, on apprend que vingt-sept de nos compatriotes helvètes se trouvaient à bord du navire lors de son voyage inaugural. Sur mon ticket figure le nom d’un passager. Claus Peter Hansen était un habitant du Wisconsin, de retour en Europe pour une visite exceptionnelle à sa famille dans son Danemark natal. De milieu pauvre, Claus n’avait pu s’offrir qu’un billet de 3ème classe mais se comptait déjà chanceux de pouvoir effectuer la traversée du retour à bord du déjà célèbre Titanic. Familier avec la tragédie, je pouvais déjà me faire une idée de l’issue du voyage pour Claus. Je vais tout de même devoir attendre la dernière salle avant de confirmer mes doutes sur son destin.
Passées ces introductions, l’exposition commence. Les deux premières salles proposent de découvrir les principaux instigateurs du projet de la White Star Line, ainsi que le chantier naval de Harland&Wolff à Belfast. Dès sa conception le paquebot fut annoncé comme un projet de superlatifs. Le chantier naval dut être spécialement aménagé pour accueillir ce géant et sa quille trois fois supérieure à celle de ces rivaux. Deux mille pièces de tôle et pas moins de trois millions de rivets entrèrent dans la fabrication du corps de ce mastodonte et son emménagement employa plus de deux-cent mille ouvriers, tous corps de métiers confondus, sur une durée de trois ans. Le jeune ingénieur Thomas Andrews usa de ses brillantes capacités d’architecte maritime pour concevoir un vaisseau quasi insubmersible dont une réplique au 1/100ème trône au centre de la seconde salle d’exposition. Andrews se trouvait à bord lors du voyage inaugural, résolu à apporter personnellement si nécessaire, les dernières touches à son chef-d’œuvre.
La présentation
Southampton le 10 avril 1912, l’excitation régnant sur les quais ne peut être supplantée que par celle ressentie par les passagers embarquant sur le Titanic pour son voyage inaugural vers New-York. Dans l’audio-guide, le Commandant Edward J. Smith me souhaite la bienvenue et me propose de monter à bord de son navire. Avec mon billet de troisième classe cela aurait été impossible à l’époque, mais aujourd’hui, au travers des quatre prochaines salles de l’exposition, je pourrai avoir un aperçu du luxe proposé par la White Star Line à ses passagers les plus fortunés. Je quitte les chantiers de Belfast et entre par l’écoutille du Titanic. La salle suivante est un couloir luxueux rappelant celui d’un hôtel cinq étoiles. Au bout, je découvre une cabine de première classe reconstituée. Dans des vitrines je peux admirer des objets entrant dans la composition de ces chambres de luxe. Des éviers d’eau courante en porcelaine fine, les pales et le moteur d’un ventilateur électrique, des brosses à cheveux en ivoire ouvragée… Malgré les décennies passées au fond de l’océan, ces objets luxueux justifient encore parfaitement les montants démesurés – près de cent-mille dollars actuels – déboursés pour s’offrir une traversée de l’Atlantique sur ce paquebot de rêve. Sur les murs de la salle figurent justement les noms des personnages les plus illustres du Titanic. Un Guggenheim, dont le patronyme est encore synonyme de puissance aujourd’hui, les propriétaires des luxueux magasins Macy’s, ou encore le fils héritier d’un magnat industriel américain, voyageant sous le nom de sa maitresse. La nuit du 14 avril 1912, ils allaient découvrir que l’argent ne fait pas le poids face aux eaux glacées de l’océan. Mais je m’emporte, nous n’y sommes pas encore.
L’ostentation
Passées les cabines, j’arrive au cœur de l’exposition. Les deux gardiens postés aux entrées m’empêchent de prendre des photos. Preuve de l’importance de cette pièce pour l’image de l’exposition. Je parle bien sur du grand escalier du pont arrière, rendu célèbre notamment par la scène finale du film de James Cameron. Cet escalier en bois ouvragé était le point de rencontre de la haute société à bord du Titanic. C’était là qu’il fallait être vu, dans ses plus beaux habits, le soir avant de se rendre au souper. Les repas étaient en effet une part importante de la vie à bord du Titanic. Les première et deuxième classes avaient accès à plusieurs restaurants et, contrairement à la coutume sur les autres navires transatlantiques, même la troisième classe n’était pas en reste. Logés dans des dortoirs, les passagers moins fortunés avaient tout de même accès à des lits personnels, couverts de draps chauds. Une cantine leur était réservée, leur permettant de manger à l’extérieur de leurs cabines et proposant des menus d’une qualité bien supérieure à la moyenne de l’époque pour cette classe. La direction de la White Star Line voyait clairement les choses. Les riches font la renommée, les pauvres font les bénéfices. Pour satisfaire les besoins de sa clientèle, le Titanic était chargé d’une quantité faramineuse de vivres. Trente-quatre tonnes de viande fraîche, quarante tonnes de pommes de terre, sept-mille litres de lait frais: voici quelques-uns des impressionnants chiffres figurant sur le manifeste de chargement du paquebot. De ces matières organiques il ne reste aujourd’hui plus une trace. Cependant, une grande partie des objets rapportés de l’épave sont des pièces de vaisselle, étonnamment préservées par le fond sablonneux de l’océan.
La destruction
La nuit du 14 avril 1912 la lune est noire, mais le ciel au dessus de l’Atlantique est parsemé d’étoiles. La température ambiante a drastiquement baissé au long de la traversée. Avide de faire bonne impression en arrivant rapidement à bon port, le commandant Smith a emprunté un chemin passant plus au nord, au-dessus des routes maritimes généralement empruntées par les transatlantiques. Dans la cabine de messagerie télégraphique, l’opérateur a reçu plusieurs alertes concernant la présence d’icebergs dans les environs. L’eau de mer gèle à une température plus basse que l’eau douce. Cela permet à ces montagnes de glace de demeurer solides comme de la pierre.
Dans une salle sombre, éclairée uniquement par des diodes scintillantes représentant la canopée étoilée, se dresse une réplique du meurtrier du Titanic. Les visiteurs ont la possibilité de toucher l’iceberg et témoigner de sa dureté. La nuit du drame, deux vigies prennent place en haut d’un mât. Ils scrutent les ténèbres, à l’affût de tout signe de présence du tueur silencieux. Dans la hâte du départ, les paires de jumelles ont été égarées, rendant le travail des officiers plus délicat. Mais à bord du Titanic personne ne s’inquiète. Le navire est insubmersible et l’esprit est à la fête. En effet, les passagers de première classe ont organisé une soirée pour rendre hommage au Commandant Smith pour les services rendus lors de cette traversée rapide et sûre.
« Iceberg, iceberg, droit devant ! ». Ce cri retenti de la vigie et arrive jusqu’au Premier Officier Murdoch, à la barre en l’absence du commandant. Murdoch donne l’ordre de couper les moteurs et de faire toute barre à tribord. Très lentement, le Titanic obtempère. Le navire évite la collision frontale, mais l’iceberg est vicieux car plus large en dessous de la ligne de flottaison. Le changement de cap n’est pas suffisant pour empêcher la montagne de glace de perforer le flanc du navire. Immédiatement, Murdoch donne l’ordre de fermer les portes des compartiments étanches sensés assurer la quasi-insubmersibilité du Titanic. Le Commandant Smith et l’architecte ingénieur Andrews sont appelés au pont de commandement et sont présents pour recevoir les rapports provenant des salles des machines. Cinq des seize compartiments prennent l’eau. Ayant conçu son paquebot de manière à ce qu’il puisse supporter la perte de quatre de ses compartiments étanches, Andrews se voit obligé de prononcer un constat fatidique: le Titanic est condamné. En moins de deux heures, le splendide navire allait sombrer au fond de l’Atlantique.
Les expéditions
Le déroulement du naufrage n’est cependant pas une part importante de l’exposition. Il est tout de même fait mention de la pénurie de canots de sauvetage et de quelques faits héroïques, ou comportements moins glorieux, par des plaques murales le long d’un couloir menant de la salle de l’iceberg à la suivante. Les deux avant-dernières salles de l’exposition sont consacrées aux nombreuses expéditions de fouilles archéologiques sous-marines. On fait un saut dans le futur, près de quatre-vingt ans après la catastrophe. Le Titanic est retrouvé, et de nombreuses expéditions font remonter un grand nombre d’artefacts à la surface. Ce travail archéologique est titanesque et emploie des technologies de pointe. L’épave gisant à plus de quatre-mille mètres de profondeur, sous des pressions gigantesques, est aujourd’hui un musée. Son conservateur est Stéphane Pennec, collaborateur de RMS Titanic Inc., les patrons de l’exposition. Dans l’audio-guide et sur les panneaux aux murs, il nous présente les challenges rencontrés dans la conservation de ce joyau historique et le rapatriement des objets présentés. Bientôt, l’eau salée aura complètement rongé l’épave et le Titanic sera perdu à jamais.
La conclusion
Le naufrage du Titanic choque le monde entier. L’opinion publique s’embrase, attisée par une presse virulente, désireuse de faire oublier son rôle si important dans le succès marketing du premier et dernier voyage du paquebot. La catastrophe humaine devient un désastre économique pour les compagnies d’assurance. Le navire en lui-même avait coûté l’équivalent à l’époque d’un quart de milliard de dollars et sa cargaison précieuse avoisinait les cinq millions. Les autorités ne sont pas en reste. De nombreuses enquêtes sont ouvertes. Après la catastrophe, un système de patrouilles anti-glacière est mis en place au long des routes de navigation transatlantiques. Les séparations entre les classes deviennent moins strictes et la quantité obligatoire de canots de sauvetage à installer à bord des paquebots est augmentée. Depuis le Titanic, plus aucun autre paquebot n’a fait naufrage à cause d’une collision avec un iceberg. Enfin, dans la dernière salle je découvre le destin de Claus Peter Hansen. Le quarantenaire danois et sa femme Jennie n’ont pas survécu au naufrage. Comme tant d’autres, leurs noms figurent sur la partie inférieure de la stèle commémorative de la dernière salle de l’exposition. Parmi les survivants, plus aucun ne vit aujourd’hui. Millvina Dean fut la dernière des 711 rescapés du drame à s’éteindre, en 2009, à l’âge de nonante-sept ans. Elle avait quatre mois lors de la tragédie et l’exposition lui est tout spécialement dédiée. Comme les 2’227 autres noms figurant au mur, elle fait désormais partie de la mémoire du Titanic.
G-Ls.