Après avoir exploré la côte du Sud Ouest de l’Irlande, les paysages aux allures de films fantastiques vont céder la place aux villes. Loin des petits villages explorés jusqu’ici, nous allons découvrir de l’intérieur la vie urbaine, créée par la mentalité des Irlandais. Suite et fin du voyage.
Photo : Manon Zazzali
De Genève à Londres. De Londres à Cork. Puis Killarney. Loin de l’agitation de la ville, la visite de « coins perdus » : Cahersiveen, puis Sneem. Les premiers jours passés en terre gaélique nous laissent déjà bouche bée. La nuit, nous rêvons encore des décors vus précédemment. Les collines d’émeraude, les lacs, les montagnes entourées de ce brouillard épais, l’océan sauvage entouré des falaises vertigineuses,… Tant de détails qui nous encouragent à poursuivre notre voyage. Mais à présent, il est temps de retourner vers la civilisation et l’agitation humaine, dont nous avons oubliée la présence ces derniers jours.
La prochaine étape est Kilkenny, où nous allons rester deux jours. C’est de là que vient la fameuse bière qui porte le même nom ; nous n’attendons pas pour la déguster dans le premier restaurant où nous nous arrêtons. Considérée comme une des villes les plus touristiques d’Irlande, sa faible étendue géographique nous permet de savourer le charme pittoresque qui se dégage de l’endroit. Les ponts sont nombreux, directement à l’intérieur de la ville, séparant les différents quartiers comme autant de frontières discrètes.
Ce soir, c’est la finale de la coupe du monde. Aux devantures des pubs, des cafés, des commerces, sont accrochés des ballons aux couleurs des deux finalistes. Partout, les affiches clament la diffusion en direct du match tant attendu. Visiblement, même s’ils ne sont pas dans la compétition, les Irlandais attendent avec impatience sa diffusion. Mais pour la journée, nous partons visiter le Kilkenny Castle, qui surplombe la ville comme un gardien. Nous y découvrons l’histoire passionnante de la commune, qui était autrefois le siège du parlement anglais. Dehors, le temps est gris, mais c’est de coutume, et le parc du château nous semble d’une étendue démesurée. La nuit tombe peu à peu tandis que nous flânons dans les ruelles toujours aussi colorées, croisant un camion de café ambulant, happées parfois par les tentations de confiseries traditionnelles, et surtout, transportées dans un autre univers. Le déclin du soleil semble animer la ville, qui s’éveille au rythme des rayons disparaissant derrière la silhouette imposante du château. Il est neuf heures du soir, les pubs sont plein à craquer, on se chipote les places et les tables devant les écrans de télé. Le match commence, la foule s’échauffe elle aussi. À l’intérieur, l’enthousiasme est palpable dans l’air confiné, mêlée aux accolades entre supporters, aux échanges d’écharpes de couleurs. Ce n’est qu’à la fin du match, à la victoire de l’Allemagne, que nos oreilles captent les notes d’un chant que nous connaissons bien, mais qui n’a pourtant rien à faire ici. La Marseillaise. Là-bas, un groupe de jeunes semble ressentir le besoin d’entonner l’hymne de leur pays, au beau milieu d’un bar irlandais. Certains sont français, d’autres québécois, d’autres australiens, d’autres allemands, certains directement de la région,… Mais quand ils nous embarquent avec eux, nous faisons le voeu, ce soir, d’être tous Irlandais. S’en suit une soirée que nous ne sommes pas prêtes d’oublier, dictée par le partage de nos nationalités diverses, par nos parcours de voyage dans le pays, par les étoiles dans les yeux en décrivant les images enracinées dans nos cerveaux.
Les deux jours défilent vite, et nous voilà à l’aube de notre départ pour Dublin. Les adieux avec nos hôtes sont encore plus émouvants que les premiers, et en apprenant nos voeux d’avenir dans le journalisme, ils nous font même promettre de revenir plus tard écrire sur eux. Promesse faite.
La capitale, dernière destination, pour finir en beauté un voyage qui nous a, jusque là, surprises de jours en jours. Le trajet est long, nous nous impatientons, en nous demandant si Dublin c’est « comme ce qu’on dit ». Non, Dublin, ce n’est pas comme ce que nous avons pu entendre ou lire dans notre guide de voyage. Mais tellement plus, en vérité. Dès notre arrivée, nous sommes accueillies par l’ambiance caractéristique d’une fourmilière en activité. À côté de Kilkenny, la ville est immense, et s’étend jusqu’à l’horizon. Elle est séparée en deux par la Liffey, un fleuve qui la traverse de parts en parts, agrémenté d’un total de neuf ponts qui permettent de rejoindre un côté ou l’autre. Notre auberge de jeunesse se trouve au coeur du quartier le plus populaire de Dublin : le Temple Bar. Mais nous la quittons dès nos affaires déposées pour partir en exploration. La journée défile bien trop vite, et nos yeux, douloureux à force d’être écarquillés, semblent ne plus jamais se fermer. Chaque battement de cils menace de nous faire louper un détail. Dans les ruelles pavées, les pubs sont tous habillés de ballons, de drapeaux, de fleurs colorées. Là-bas au coin de la rue, un garçon d’une dizaine d’années joue seul, avec son micro et sa guitare, et toute sa passion en tête d’affiche. Son public : une foule qui se presse devant lui, acclamant l’adolescent. L’ambiance est chaleureuse, errer devient une véritable promenade de découvertes. Nous passons sur le pont de Samuel Beckett, admirons la demeure d’Oscar Wilde, traversons le Trinity College, arpentons les allées chatoyantes…
Nous sommes surprises de la spontanéité des irlandais, qui vont jusqu’à nous secourir à peine le plan de la ville sorti, agrémentant leur aide de précieux avis sur les endroits où aller, nous guidant même dans les ruelles les plus secrètes. Jusqu’à atterrir dans le pub le plus réputé de la capitale : le fameux Temple Bar, qui a donné son nom au quartier. Sur la carte, plus de 250 sortes de whiskey (oui, ici, cela s’écrit avec un “e”), et un catalogue de bières brunes, blondes, rousses. Mais plus encore, c’est la musique qui nous transporte. Au fond du bar, un homme avec un instrument dont nous ignorons le nom. Il est accompagné par une accordéoniste et une troisième personne au chant. La soirée nous semble à peine avoir débutée qu’elle est déjà finie, et qu’il est temps de regagner nos dortoirs. Nous avons tellement à dire que nos lèvres restent muettes. Demain est notre dernier jour, nous aurons ensuite tout le voyage du retour pour rejouer des scènes de notre voyage.
Derrière les rideaux, au matin, surprise. Pour notre ultime journée, le soleil est de sortie. Au programme : visite de quelques musées. Hors de question de s’enfermer, à présent. Après quelques brefs accords sur la carte et le réseau de transports en commun, c’est décidé : aujourd’hui, nous allons voir la mer. Ici à Dublin, ce n’est plus l’Océan Atlantique mais la Mer d’Irlande. Le bus nous dépose à quelques vingt kilomètres de la ville, dans une bourgage du nom de Malahide. Après une courte marche, nos yeux usés d’émerveillement ne réagissent plus, mais les bras nous en tombent. Devant nous, une plage. Infinie. Un sable fin, gris, qui court sur des kilomètres. Nous nous concertons d’un simple regard. Vite, nos affaires sont laissées là, à même le sable, avec nos chaussures. Et nous voilà parties en courant, ivres de liberté, mêlant au bruit des vagues nos rires et nos cris d’enthousiasme. Nos pieds avalent le sable, s’y enfoncent, et poursuivent jusqu’à l’épuisement. Arrivées à peine au milieu de l’immensité côtière, nous allons tremper nos pieds dans l’eau (froide, avouons-le), avant de dessiner dans le sable, de courir encore, de s’émerveiller comme des enfants devant les coquillages biscornus, et d’avaler le plus d’images et de sensations au possible. Lorsque nous faisons demi-tour, le vent se lève, et donne une nature plus impétueuse à la mer jusque là restée calme. Nos affaires n’ont pas bougé, elles sont bien toujours là, même si nous avons failli ne pas les voir. En effet, nous les retrouvons enterrées sous une couche de sable déposée par les rafales. Au jour d’aujourd’hui, ma paire de baskets s’en souvient encore.
Le soir a un goût d’urgence et de nostalgie. Il faut profiter encore, avant le grand départ à l’aube. C’est là que nous apprenons une soirée organisée par l’auberge de jeunesse : un « pub crawl ». Et nous voilà parties, entourées d’autant d’étrangers que d’irlandais, arpenter les rues de bars en bars. Nous avons du mal à nous détacher de ces gens aux émotions si brutes, à la chaleur si authentique, bien loin des rapports froids entretenus avec les étrangers dans les pays dont nous venons. De nouveau, des promesses. Pas encore parties qu’il nous faut déjà revenir, retrouver les autres voyageurs, venir de nouveau saluer les commerçants, les autochtones qui nous promettent une nouvelle visite de ces lieux qui nous ont enchanté. À peine couchées qu’il faut se relever, dans la lumière en clair-obscur de l’aurore. Dans le silence de la ville endormie, nous formulons quelques désirs à demi-voix. Oui, nous reviendrons.
Alors que l’avion s’envole au-dessus de Dublin, et que toute l’Irlande nous apparaît comme sur une carte, nous repensons à ces neuf jours de voyage. Encore habitées par l’euphorie de nos souvenirs récents, nous comprenons que la beauté de l’Irlande se trouve sous plusieurs facettes. Ses paysages époustouflants nous ont fait nous croire au bout du monde, à la frontière entre réalité et imaginaire. Mais au sein des villes, nous tombons d’accord sur un fait primordial : elles n’auraient pas autant de couleurs sans les sourires de ceux qui en font leur richesse. Et si la pluie reste un décor permanent dans le théâtre de la vie irlandaise, les irlandais font à eux seuls toute la source de chaleur.
MaZ
Première partie du voyage : https://larticle.ch/?p=4795
Photos : Manon Zazzali