Yves Mathieu Saint Laurent s’est laissé porter toute sa vie. Par les gens, par le monde. La créativité l’occupait. Bertrand Bonello retrace dix ans de vie de ce monstre de la mode. Souvenirs tumultueux d’un homme attachant.
Photo : Web
Le réalisateur Bertrand Bonello a surmonté sa crainte du genre biopic en réalisant Saint Laurent, son septième long métrage. Il y révèle l’âme ailleurs et le corps lourd d’ennui d’un enfant gâté, pris de passion pour les arts majeurs, avec Matisse comme préféré. Celui qui, le premier, a habillé la rue osant le prêt-à-porter.
A l’âge de trente ans, Yves Saint Laurent se sent déjà vieux. Il se tourne alors vers l’Addiction, histoire de « vivre » un peu. Elle deviendra sa plus grande amie donnant le ton de sa puissante autodestruction. La plus corruptrice ? Jacques de Bascher, après l’esthétique bien sûr. Dandy et amant de Karl Lagerfeld, il détache Saint Laurent plus qu’il ne l’était déjà de la réalité mais plus encore de son partenaire en affaires et compagnon de toute une vie, Pierre Bergé. La Fragilité. L’internement du jeune successeur de Christian Dior (dès 1957) à l’hôpital militaire français du Val-de-Grâce en septembre 1960 en est probablement la cause première. Mobilisé lors de la Guerre d’Algérie, il tombe en dépression, Dior le remplace. Deux ans plus tard, Pierre et Yves créent leur maison de couture à Paris, rue Spontini. La cigarette, l’alcool, la drogue et le sexe formeront le prolongement de cette fragilité avec laquelle, selon Pierre Bergé, Saint Laurent était né. La Femme. Il l’a toujours comprise. Ne l’ayant pas réellement libérée, en comparaison à Mademoiselle Chanel, Yves Saint Laurent a tout de même su la rendre légère, à l’aise dans ses vêtements. Jouant avec les codes masculins, c’est en élégance et subtilité qu’il a redessiné la silhouette féminine.
Gaspard Ulliel est Yves Saint Laurent dans le film réalisé par Bertrand Bonello. Saint Laurent est un regard croisé à la fois sur le jour et la nuit, le succès et le morbide. L’atelier de couture de la marque y est à l’honneur. Une juste emphase car l’importance primordiale des petites mains est bien trop souvent ignorée, elles seules pouvant donner vie aux dessins des créateurs. Peu à peu, le professionnel finit pourtant par laisser place à la déchéance abyssale qu’a vécue ce grand monsieur de la mode. Yves Saint Laurent y est mis à nu, Bonello invitant le spectateur dans l’intimité la plus sombre de l’homme. Une telle noirceur semble par ailleurs commune aux grands génies artistiques de l’Histoire. Il était en effet un artiste. Torturé, son seul drame était celui de ne plus avoir de concurrence. Il a révolutionné le monde de la mode durant la seconde moitié du XXème siècle, Coco Chanel ayant régné sur la première. Chez l’un, la robe Mondrian, le Smoking, la Saharienne, les robes Matisse et Picasso. Chez l’autre, la petite robe noire, le tailleur de tweed, le pantalon, la jupe plissée.
Yves Saint Laurent ou Saint Laurent sans Yves ?
En l’espace d’une année, deux biopics en hommage au couturier français ont été réalisés. Quel univers préférer ? Jalil Lespert et Bertrand Bonello se rencontrent assurément autour de la remarquable performance de leurs comédiens, respectivement Pierre Niney et Gaspard Ulliel. Aucun surenchérissement, ni imitation mais la même envie de partager la réalité de Saint Laurent sans tricher. Lespert sublime la passion déchirante entre le créateur et l’homme de sa vie, Pierre Bergé, révélant tout de même quelques facettes plus noires du couple. Bonello, lui, ne montre pas qui est Yves mais ce que cela lui coûtait d’être lui-même. Il devient presque arrogant, la faute à son isolement, sa solitude progressive peut-être. Saint Laurent paraît ainsi bien au-dessus de tout. Du moins, son âme. « J’aime les corps sans âme, parce que l’âme elle est ailleurs », fait dire le réalisateur au grand couturier ennuyé par la laideur de la rue, l’esprit errant quotidiennement dans son Jardin Majorelle à Marrakech. Chez Bonello, tout ne fonctionne que par contrastes. Les scènes du succès s’écrasent contre celles de la débauche, déclenchant chez le spectateur un sentiment d’empathie difficile à contenir. Deux fenêtres se sont ouvertes sur l’âme d’Yves Saint Laurent, partie ailleurs depuis longtemps déjà.
C.
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