La Mouette

La célèbre Mouette d’Anton Tchekhov prend vie grâce à une association régionale de qualité au Temple Allemand de la Chaux-de-Fonds jusqu’au 3 Novembre et s’envolera ensuite pour une tournée franco-suisse prometteuse.

Photo : Web

La petite salle était comble en cette fin d’octobre au Temple Allemand. Au menu, une Mouette revisitée avec audace par le judicieux groupement de cinq compagnies théâtrales locales indépendantes, sous l’acronyme épuré de « La Mouette », et mise en scène par Jean-Michel Potiron. La pièce est coproduite par le Centre de Culture ABC de la Chaux-de-Fonds, en collaboration avec le Théâtre du Passage de Neuchâtel ainsi qu’Arc en Scènes. Une production, en somme, très « Neuchâteloise »; ce qui en fait également son charme. « Les comédiens et moi souhaitons proposer une version dénuée d’affectation : claire, simple, humaine. », propos recueillis par Nicolas Laurent au cours d’un entretien avec le metteur en scène.

La Mouette vit le jour à Saint-Pétersburg, à la toute fin du XIXè siècle. Elle fut dans un premier temps peu acclamée par le public mais devint par la suite l’une des œuvres les plus connues et les plus adaptées de Tchekhov (notamment en Suisse, à la Comédie de Genève et à Renens en 2004).

Immersion de deux heures dans les eaux troubles et chaotiques de la vie, Amoureuse et Artistique, de dix personnages qui défilent, se frôlent, s’entrechoquent et se détruisent. Quatre actes de dialogues et de silences, d’émotions et de déchirures. « Les gens dînent, ils ne font que dîner et pendant ce temps s’édifie leur bonheur où se brise leur vie », voilà les mots utilisés par Tchekhov pour décrire sa propre pièce.

La première scène pose judicieusement le décor, minimaliste, qui laisse toute la place et la liberté aux comédiens. Deux personnages sont côte à côte : Macha, paysanne vivant dans un village isolé de Russie avec ses parents et Sémion, son mari instituteur. Macha est fragile et de noir vêtue, triste et inconsolable. Puis, peu à peu, se dévoilent tous les personnages à travers un ballet faussement désinvolte. Constantin, écrivain inspiré mais si peu soutenu. Sa mère, Irina, comédienne excentrique et critique qui ne veut pas reconnaître le talent de son fils et son mari, Trigorine, célèbre écrivain « de la ville ». Piotr, le frère d’Irina, gravement malade et lassé de sa vie à la campagne. Evguéni, le médecin de la famille, infatigable nostalgique de sa jeunesse. Enfin, Nina, La Mouette, jeune comédienne qui rêve de devenir actrice et est engagée par Constantin pour jouer dans une de ses pièces.

 Chacun a son histoire, son vécu, son expérience qu’il livre avec intensité. Chacun est important à sa manière et apporte une touche de sourires quelques fois, une dose d’émotions très souvent.

Tous se retrouvent à la campagne, chez Piotr, accompagnés d’un lac et de la lune. Deux images qui bercent le spectateur sans bruit, l’incitant à se retourner pour découvrir à son tour ce paysage plein de mélancolie et de douceur.

C’est aussi un ballet d’amours éphémères, désabusés, tâchés de jalousie, parfois tragiques. Constantin tombe amoureux du charme quelque peu torturé de Nina, mais celle-ci est inexorablement attirée par le talent de Trigorine, lequel se retrouve désemparé.

Mais dans ce grand bal de destins liés, qui est réellement la Mouette? Sur fond d’amours déchus et de déchirures familiales, elle est la seule à s’éveiller et à grandir au fil de la pièce. D’abord envahie par les doutes et les incertitudes de la vie, elle devient peu à peu plus forte, plus réelle, au gré des saisons, malgré ses échecs. Elle finit par s’envoler au dernier acte : elle a trouvé ce qui la rendait vivante et mis de côté ses peines amoureuses. J.M. Potiron soulève ainsi avec subtilité l’épineuse problématique de la réussite de la vie.

Il effleure aussi le thème de l’œuvre Artistique qui était cher à Tchekhov : comment définir une œuvre et comment juger de sa valeur? Qu’est-ce qu’être artiste? Des questions aux réponses multiples, encore ouvertes et prêtes pour des discussions animées à la sortie du théâtre. Vocation controversée de l’artiste qui entraîne l’admiration chez certains, le dédain chez d’autres.

NoAn.

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