Synchronicity est une danse de l’essentiel. Chorégraphiée par Carolyn Carlson, elle explore cet « entre » de la réalité et du rêve, là où la causalité des évènements se voit bousculée. Elle semble floue et éphémère. Un rêve quotidien qui fait mal et soulage, marqué par des rencontres imaginaires. Les cicatrices qu’elles laissent sont pourtant réelles. Avalanche d’émotions assurée.
Inspirée de la notion de « synchronicité »* chez Jung, Synchronicity entraîne dans le cycle d’une vie où deux évènements se réunissent dans le temps et la simultanéité. Elle redécouvre la psyché hors du cadre spatio-temporel comme une énergie sans étendue. Il suffit d’écouter les rêves pour voir surgir l’inconscient collectif. On aime pour détester, on déteste pour aimer ; les raisons, les causes ne semblent pas toujours exister. Le spectacle dans son intégralité est à la recherche de ces instants que l’on tend à oublier, voire rejeter. Trop courts, trop fragiles, ils n’en valent pas la peine. C’est pourtant là qu’il faut chercher…
L’espace scénique est grand et profond. Les mouvements des danseurs sont amples et profondément ancrés dans une réalité qui semble nous échapper. Le décor est sobre mais les symboles nombreux. Difficile cependant de s’y retrouver. Alors on se laisse emporter, c’est moins compliqué. En arrière-plan, contre un mur griffé de rouge et de gris, un film en noir-blanc est projeté durant toute la pièce. Il est le spectacle, son reflet au ralenti. Comme s’il montrait la voie à suivre, le phare de la réflexion. Intrigant. Prenant.
9 danseurs, une unité cependant. Les pas se rassemblent pour mieux se diviser ; on se sent seul mais accompagné dans sa solitude. La musique y est pour beaucoup. Tom Waits nous promet que tout ira mieux à Chicago ; on veut bien le croire. Et puis, on se retrouve à New-York le 4 février 1999, ce jour où Amadou Diallo est abattu par quatre policiers. Bruce Springsteen chante 41 shots. 19 ont atteint leur cible, les 21 autres une nation. Que ce soit au travers de la musique ou des corps, l’émotion est grande. C’est une gifle. Une gifle que l’on prend chaque matin en se regardant dans le miroir. Parce que l’humanité est grave dans sa beauté.
« I’m hungry. When I’m hungry, I hunt. » Ces paroles pénètrent l’air et résonnent. La Cène finale surprend. Ebranle. Détruit. Les costumes se blanchissent, l’atmosphère s’alourdit : on se croirait au Paradis. Ce tableau pourtant, c’est l’avarice humaine. L’avidité de l’homme. La jalousie de l’être. Pourvu que l’on prenne sans donner. Chacun pour soi, chacun son pain. Si l’on peut dérober celui de l’autre, c’est encore mieux. On se délecte de sa douleur, on en rit. Et on meurt, seul.
Cette dernière apparition est à pleurer. D’autres en ont ri. A chacun sa réaction, sa prise de conscience. La chorégraphe, Carolyn Carlson décrit son œuvre comme un « blur ». Alors on ne sait pas et on ne saura pas. « Bonne chance au spectateur ! », lance-t-elle dans une interview de Grand Lille TV, un rictus aux lèvres. Perdue entre rêve et réalité, son travail est achevé, elle a réussi : je suis troublée.
C.
*synchronicité : idée d’une occurrence simultanée d’au minimum deux évènements sans lien de causalité. La personne qui les perçoit les associe cependant de manière à ce que le tout prenne un sens.
A voir
Extraits de Synchronicity by Carolyn Carlson,
http://www.ccn-roubaix.com/index.php?option=com_content&view=article&id=648&Itemid=2&lang=fr
Autres extraits de Synchronicity by Carolyn Carlson (à partir de 15:25),
http://www.youtube.com/watch?v=y0697A6Dc7s
Interview de Carolyn Carlson par Grand Lille TV,