Armes nucléaires : non à une sécurité par la menace !

Du 1er au 9 août 2010, s’est tenue à Hiroshima et à Nagasaki la conférence mondiale contre les bombes atomiques et à hydrogène sous le thème “For a Nuclear Weapon-free, Peaceful and Just World”. En plus de commémorer le triste 65ème anniversaire du bombardement des deux villes, cette conférence a rassemblé plus de 10’000 personnes dont 74 délégués d’organisations pacifistes venus de 27 pays différents et une énorme quantité de japonais de tous âges engagés pour la paix. Avec un ami j’ai eu la chance de participer à l’ensemble du programme de cette gigantesque rencontre et j’aimerais, dans une série de deux articles, vous faire partager ce que j’y ai appris.

Malgré l’existence d’un traité de non-prolifération, entré en vigueur en 1970 et révisé en mai 2010, dont l’objectif est d’éviter la propagation d’armes nucléaires, de promouvoir une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et de permettre à long terme un désarmement nucléaire général 1*, la course à l’armement et la diffusion de bombes atomiques ou à hydrogène toujours plus puissantes sont une réalité actuelle. De plus en plus de pays comme l’Inde, le Pakistan, la Corée, Israël et peut-être l’Iran entrent les uns après les autres dans le jeu. L’argument principal utilisé par les cinq grandes puissances nucléaires que sont la France, l’Angleterre, les USA, la Russie et la Chine pour justifier la possession, l’achat et la dissémination d’armes nucléaires en des points stratégiques tout autour de la planète est celui de la dissuasion. Les bombes atomiques et à hydrogène seraient en effet le moyen le plus efficace de garantir la sécurité mondiale, puisqu’en raison de leur gigantesque puissance de destruction elles rendraient toute guerre trop coûteuse pour celui qui l’entreprendrait.

Pourtant, le point principal qui est ressorti de ces neuf jours de conférences auxquelles nous avons assisté est que les armes nucléaires ont causé d’immenses souffrances et continuent à le faire de nos jours. Leur construction, leur possession et leur utilisation – que ce soit dans le cadre de tests ou pour faire la guerre – présentent des risques importants pour l’ensemble de l’humanité. Plusieurs orateurs ont également mis en relief les limites de la théorie de la dissuasion et ont permis d’envisager d’autres alternatives.
Aujourd’hui, même si aucune des grandes puissances de notre monde n’est réellement prête à entamer le démantèlement complet de son stock d’armement nucléaire, une quantité de plus en plus grande d’individus et de gouvernements soutiennent la nécessité d’un désarmement global. Des personnages d’influence tels que le président américain Barack Obama ou le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon ont également affirmés leur désir de travailler dans ce sens. Une majorité de l’opinion publique mondiale semble opposée aux armes nucléaires, et pourtant les gouvernements continuent à dépenser des milliards pour en acheter ou en créer. Nous nous trouvons donc à un moment « clé » où, pour que les choses changent, il faut que dès maintenant tous ceux qui s’opposent à l’idée d’une « sécurité » par la menace se rassemblent et s’organisent pour faire entendre leur voix. Dans les lignes qui suivent, j’aimerais dans un premier temps présenter quelques-uns des arguments en faveur du désarmement nucléaire qui m’ont le plus marqués au cours de ces conférences, puis dans un deuxième temps, donner des idées d’action à ceux de mes lecteurs qui souhaiteraient s’engager pour la paix.

UNE ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS FONDAMENTAUX
Une première raison pour laquelle il me semble primordial de s’opposer à l’arme nucléaire est que son utilisation est dangereuse et qu’elle s’oppose aux droits humains les plus fondamentaux à savoir le droit à la vie et le droit à la santé 2*. Les hibakushas, c’est-à-dire les survivants de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, en sont témoins : encore de nos jours, les derniers d’entre eux souffrent de multiples cancers causés par les radiations qui ont endommagé leurs cellules souches il y a de cela 65 ans. En un instant leur monde a été détruit sans qu’ils comprennent même ce qui leur arrivait. Alors que la seconde d’avant tout allait bien, ils se sont retrouvés projetés contre le sol, atrocement brûlés, la peau pendant en lambeaux de leur corps. Leurs parents et leurs amis sont morts, soit au moment de l’explosion, soit dans les jours ou les mois qui ont suivis, emportés par des maladies étranges et douloureuses qui ont commencé par faire tomber leurs cheveux, puis voler leurs forces et finalement leur vie. Il a fallu des années avant qu’on leur reconnaisse le statut de survivants nucléaires et que le gouvernement japonais accepte de financer leurs dépenses médicales. Encore aujourd’hui de nombreuses personnes se voient refuser cette aide pour des raisons souvent obscures 3*.
Les histoires que racontent les hibakushas de Hiroshima et Nagasaki dans l’espoir que leur tragédie ne se reproduise plus sont horribles. Pourtant, fait souvent méconnu, les victimes d’armes nucléaires ne se limitent pas à ces deux villes. D’autres populations ont souffert des bombes atomiques et à hydrogène développées et testées par des grandes puissances tout autour de la planète durant les 65 dernières années. Un exemple parmi d’autres : la France compte à son actif 210 essais nucléaires dont au moins deux ont eu des conséquences imprévues graves, en Algérie et en Polynésie française. Ce n’est qu’en 1996 que la France s’est engagée à renoncer à ce genre de tests, mais cette décision est une exception 4*.

Une histoire particulièrement choquante est celle de l’atoll de Bikini, dans les îles Marshall. En 1946, les Etats-Unis ont prié les habitants de ce petit atoll du Pacifique de partir temporairement de chez eux pour laisser la place à divers tests militaires. Ils ont été replacés sur l’atoll de Rongerik où l’eau et la nourriture étaient en quantité insuffisante pour leur permettre de vivre correctement. Après leur départ, quelques 23 détonations nucléaires ont eu lieu à Bikini, parmi lesquelles la toute première bombe à hydrogène explosée en 1954. Cette dernière, environ mille fois plus puissante que chacune des deux bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki, a été la cause d’un important nuage radioactif qui a affecté les habitants des îles alentour ainsi qu’un bateau de pêche japonais. En fait, les autorités responsables de l’opération avaient été informées que le vent avait tourné au moment de l’explosion et qu’un risque de contamination existait, mais ils l’avaient jugé trop faible pour annuler l’opération 5*. En 1968 l’atoll de Bikini a de nouveau été considéré comme habitable et une partie de sa population y est retournée. Pourtant, en 1978 des tests sanitaires ont révélés que la pollution radioactive de l’île mettait en danger la santé de ses habitants, et ils ont été forcés de se déplacer à nouveau pour une petite île de l’atoll de Majuro 6*. En 1998, l’International Atomic Energy Agency (IAEA) a publié un rapport affirmant qu’une repopulation des îles Bikini n’était pour l’instant pas possible dans la mesure où ses habitants ne se nourriraient que d’aliments produits localement, mais que des solutions alternatives étaient possibles. En fait, un retour des bikiniens chez eux est aujourd’hui envisagé à condition qu’ils consomment en priorité de la nourriture importée et qu’ils utilisent un fertilisant à base de potassium pour leurs plantations locale, afin de limiter l’absorption de déchets radioactifs par les plantes 7*. Cependant, les bikiniens restent méfiants. Beaucoup d’entre eux préfèrent l’autre solution proposée par l’IAEA qui consisterait à remplacer entièrement la terre des zones habitées par une autre plus sûre, mais ils ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour mener à bien cette opération 8*.

C’est un fait, l’arme atomique est utilisée de nos jours encore, et même si ce n’est que dans le cadre de tests, trop d’exemples comme celui-ci nous montrent qu’elle représente tout de même un risque. La pollution radioactive qu’elle engendre est dangereuse sur le long terme, tant pour l’environnement que pour les êtres humains, alors que bien des conflits sont résolus en moins d’une génération. De plus, sa possession par un état est en soi inacceptable, car il n’est nulle par sur terre où cette arme, une fois lancée, n’atteindrait que des militaires. En fait, son rôle stratégique est précisément de menacer une masse importante de civils, d’où sa fonction d’arme de terreur. Actuellement, les gouvernements se servent principalement du nucléaire comme moyen de dissuasion, sans véritable intention d’utiliser leurs armes. Pourtant, une dissuasion n’est effective que dans la mesure où la menace est réelle. De plus, tant que des états posséderont de telles armes, le risque demeurera que soit déclarée une guerre nucléaire à grande échelle qui ne laisserait personne indemne et contaminerait la planète pour de nombreuses années. En fait, je considère que la puissance de destruction des armes atomiques ou à hydrogène est telle que rien ne devrait justifier leur emploi, et c’est pourquoi je me rallie à l’avis de nombreux défenseurs de la paix qui sont en faveur de l’établissement d’une loi internationale qui considérerait l’arme nucléaire comme illégale.

UNE ENTRAVE A L’ETABLISSEMENT DE RELATIONS INTERNATIONALES AMICALES SOLIDES
Un autre argument allant dans le sens d’un désarmement nucléaire est que, malgré ce que dit la théorie de la dissuasion nucléaire, la possession par des pays de bombes atomiques ou à hydrogène entre en opposition avec l’espoir d’une paix mondiale. En effet, toute arme est destinée à des ennemis présents ou potentiels et contribue donc à créer une atmosphère de méfiance voire de terreur qui empoisonne les relations entre états. Une énergie énorme est employée par les gouvernements dans leur défense, afin de forcer la paix en faisant en sorte qu’une guerre devienne trop coûteuse pour un attaquant. Les bombes nucléaires constituent la pièce maîtresse de cette stratégie puisqu’il semble que personne ne serait assez fou pour attaquer un pays qui possède une telle arme. Pourtant, les conflits actuels contredisent cette idée. En effet, que peut faire une bombe, aussi puissante soit-elle, contre des terroristes qui se terrent dans une ville remplie de civils, des kamikazes prêts à mourir pour leur cause ou contre les membres d’une guérilla éparpillés on ne sait où dans la nature ? On pourrait argumenter sur le fait que la théorie de la dissuasion nucléaire se justifiait au temps de la guerre froide, où seuls deux blocs s’opposaient dans la course à l’armement nucléaire, mais aujourd’hui les conflits sont trop complexes pour pouvoir être résolu avec des armes de destruction si puissantes.
Prenons le cas du Japon qui ne possède lui-même aucune bombe atomique mais qui bénéficie de la protection nucléaire des Etats-Unis. On peut imaginer que les Etats-Unis seraient facilement enclins à utiliser leurs bombes pour défendre leur allié contre une menace nucléaire, par exemple de la part de la Corée du Nord. Dans ce cas, le Japon deviendrait un nouveau champ de bataille, alors que les Etats-Unis, en plus de se débarrasser d’un ennemi gênant, ne seraient pas menacés dans leur propre pays. Dans ce cas, le parapluie nucléaire des Etats-Unis ne semble pas être la stratégie de défense la plus efficace pour le Japon. Travailler à la stabilisation politique et économique de la Corée du Nord et abandonner ce parapluie américain pour ouvrir des négociations avec ses voisins dans le but de créer une zone sans armes nucléaires dans l’Asie du Nord permettraient sans doute au pays du soleil levant de se garantir une meilleure sécurité 9*.
Il en va, d’après moi, de même pour le reste du monde. Nos gouvernements devraient dépenser moins d’énergie dans la défense militaire et plus pour développer la communication entre les états afin de bâtir une sécurité sur des bases positives. Il faudrait pouvoir coexister sans menacer en mettant en place d’autres moyens pour décourager les conflits. Je pense par exemple à une consolidation du rôle des Nations Unies, avec la mise en place de lois internationales solides et des moyens efficaces pour les faire respecter, ou des relations commerciales complémentaires. Faire pression sur les gouvernements pour les forcer à ouvrir des négociations allant dans le sens d’un désarmement pourrait être le premier pas pour poser les bases de cette communication si nécessaire entre les états.
Le Traité de Non Prolifération qui interdit à tout autre pays que la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la France et l’Angleterre de posséder des armes nucléaires crée une inégalité entre les états et tend à faire de l’arme nucléaire un symbole de puissance que tout pays qui veut s’imposer sur la scène internationale doit posséder. Le seul moyen de remédier à cela est de désarmer et de faire en sorte que les enjeux soient placés ailleurs, que la force militaire ne soit plus considérée comme le meilleur moyen de garantir la sécurité.

UN GOUFFRE FINANCIER
Enfin, un dernier argument qui me semble également important est que les armes nucléaires et la défense militaire en général coûtent extrêmement cher. Les sommes se comptent en milliards de dollars pour du matériel qui, la plupart du temps, s’use dans des hangars et dont il faut régulièrement se débarrasser, ce qui occasionne de nouveaux frais et de nouveaux risques. Les avancées technologiques donnent lieu à des armes toujours plus chères à produire et coûteuses à utiliser, ce qui force les états à augmenter leur budget militaire et à renouveler régulièrement leur arsenal. Par exemple, le budget de défense américain est passé entre 2001 et 2008 de 335,5 à 676 milliards de dollars 10*. Quant à la France et le Royaume-Uni leurs dépenses militaires représentent environ 2% de leur PIB 11*. Ces sommes ne semblent-elles pas faramineuses, surtout dans les conditions actuelles de crise économique où l’on nous parle sans cesse de couper sur les prestations sociales pour faire des économies ? Je suis convaincue que la haine et les guerres naissent avant tout d’un mal-être social et de difficultés économiques. Ainsi, plutôt que d’investir dans la défense, pourquoi ne pas attaquer le problème à la source et encourager nos gouvernements à utiliser cet argent pour l’amélioration des conditions de vie et de l’éducation des citoyens de leur pays ainsi que de tous ceux qui pourraient les menacer ?  Nous en revenons à la proposition de construire la sécurité sur des bases plus positives.

Ce premier volet se termine sur un constat limpide : les armes nucléaires ne constituent aucune forme de sécurité tangible et constituent une menace aux droits humains les plus fondamentaux De plus, leur développement représente un frein important à une paix mondiale.
Le mois prochain, le second volet de mon expérience au Japon portera sur les actions concrètes que nous pouvons entreprendre pour mettre fin à ce régime de la sécurité par la menace.
LS

1*  Texte du TNP sur la page des Nations Unies : http://www.un.org/en/conf/npt/2010/npttext.shtml
2* Page des Nations Unies sur les Droits de l’Homme : http://www.un.org/fr/documents/udhr/
3* Site du Hiroshima Peace Memorial Museum : http://www.pcf.city.hiroshima.jp/index_e2.html
4* Page Wikipedia sur les accidents nucléaires : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_accidents_nucl%C3%A9aires
5* Barton C. Hacker, Elements of controversy: the Atomic Energy Commission and radiation safety in nuclear weapons testing, 1947-1974, University of California Press, 1994
6* Jack Niedenthal, A history of the people of Bikini following nuclear weapons testing in the Marshall Islands : with recollections and views of erlders of Bikini atoll, Office of Health, Safety and Security : http://www.hss.energy.gov/HealthSafety/IHS/marshall/marsh/journal/rpt-3.pdf
7* Site de l’International Atomic Energy Agency : http://www-ns.iaea.org/appraisals/bikini-atoll.htm
8* Site sur l’atoll de Bikini : http://www.bikiniatoll.com/
9* Robert Green, Security Without Nuclear Deterrence, Astron Media & Disarmament & Security Centre; 2nd edition (2010)
10* Vincent Desportes « Armées : « technologisme » ou « juste technologie » ? », Politique étrangère 2/2009 (Eté), p. 403-418.
11* Jean-Sylvestre Mongrenier « La politique de défense britannique et le « special relationship » anglo-américain. », Hérodote 2/2010 (n° 137), p. 162-184

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