Le vilain petit canard européen

La population Rom dans la ligne de mire de politiciens soucieux de préserver une France proprette a dernièrement fait couler beaucoup d’encre. En période de crise économique, aucun pays ne désire assumer la charge d’une foule vivant de subsides populaires, qui plus est sans permis de séjour valable.  Si certains renvois se justifient, quelques a priori demandent à être revus dans la foulée.

Cet été, M. Sarkozy a décidé de passer un coup de balai sur les terres de sa République, invitant ou forçant plusieurs centaines de Roms en situation irrégulière à débarrasser le plancher et rentrer chez eux, principalement en Roumanie. Trouble de l’ordre public est revendiqué comme argument par cette politique d’expulsion, qui touche les clandestins vivant en France depuis plus de 3 mois sans domicile ni revenu. La Commission européenne a vivement réagi à une circulaire dans laquelle il aurait été précisé que ce démantèlement de camps illicites devait viser en particulier les Roms, et a invoqué une application discriminatoire du texte traitant de la libre circulation des citoyens européens, accusant la France de procéder à une reconduite sur une base ethnique. La polémique n’a pas manqué de s’emballer avant de s’essouffler, pendant que de nouveaux campements se faisaient débusquer et renvoyer de l’Hexagone. Mais laissons de côté les péripéties de l’actualité de nos voisins pour nous pencher sur la situation en Suisse, et discuter l’assimilation presque systématique que l’esprit populaire crée entre le peuple Rom et la pauvreté.
Si les Roms sont présents en Europe depuis le Moyen-Age, en provenance de l’Inde, les périodes post-guerres mondiales, la venue de travailleurs étrangers dans les années 60 et 70 et la guerre des Balkans dans les années 90 représentent des moments clés dans l’histoire de l’installation de cette population sur le territoire suisse. En Suisse comme en France, et même dans les pays tels que la Roumanie, le mot Rom, signifiant « homme » en Indi, éveille de la méfiance chez les uns et de la compassion chez les autres. On peut imaginer que ces deux réactions prennent racine dans l’idée communément répandue qu’être Rom implique forcément d’être pauvre. Les médias et leur rôle significatif dans la circulation des informations sont certainement en grande partie responsables des préjugés dans lesquels l’esprit humain s’embourbe. Il est indéniable que les dommages causés dans les champs de paysans, vols, prostitution et expulsions en masse se plaisent à s’étaler dans les gros titres et raviver le parfum du scandale. L’esprit du brave citoyen est prompt à illustrer les faits avec des colonies de caravanes bientôt délabrées, des musiciens de rue, des visages émaciés entourés de cheveux sales, des soirées autour du feu et des mains enfantines se tendant dans les halls des grandes gares. Cette vision des choses est certainement fondée, mais extrême et unilatérale. Il faut savoir qu’en Suisse, on estime de 50’000 à 80’000 la population aux racines Rom, dont 30’000 posséderaient la nationalité. Ces derniers ont parfaitement su s’intégrer, exerçant aussi bien dans le secteur de la santé que dans les métiers de l’architecture, de la restauration ou encore de la finance. Une telle réussite professionnelle semble cependant étroitement liée au fait que les Roms concernés restent souvent très discrets sur leurs origines, car les stéréotypes sont encore solidement ancrés dans les mœurs. Cette réaction n’encourage évidemment en rien l’abandon de préjugés.
En ce qui concerne la population Rom vivant dans la pauvreté, il est autant facile de l’accuser à tort que de la plaindre à outrance. Il est important de réaliser que le terme Rom désigne une appartenance éthnique avant d’illustrer un peuple se caractérisant par l’absence de moyens et de domicile fixe. En effet, une grande partie du malentendu réside incontestablement dans le fait que campements illicites, population d’origine Rom, délinquance et pauvreté ne sont pas tous à jeter dans un même sac. Ou même dans un avion.
I.Sch.

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