L’homme s’apprête peut-être à franchir un pas supplémentaire dans la conquête de l’espace. Lawrence M. Krauss imagine envoyer des gens vivre sur Mars, sans billet de retour. Qui serait prêt à partir ?
Au sein de la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel, les avis sont partagés.
Attrapés au détour de leur pause à la cafétéria, vaste véranda ouvrant sur le lac, les étudiants ne sont pas tous prêts à quitter la Terre pour Mars. «Il faut vraiment avoir une raison de fuir, avoir mis une fille enceinte et, même dans ce cas, je ne voudrais pas partir», nous dit Pierre, 23 ans. Il n’imagine pas tout abandonner. Les paysages terrestres lui manqueraient et, selon lui, les motivations là-bas ne sont pas suffisantes, ne justifiant pas un tel investissement.
La jeune étudiante de 19 ans qui l’accompagne, Elodie, partage son avis : «Pour commencer, Mars est rouge. Cette couleur ne me convient pas pour une planète», déclare-t-elle. Elle ajoute qu’elle aurait peur de cet univers, hostile à ses yeux. «Si la coupole sous laquelle on vit casse, c’est la mort assurée», dit-t-elle. La jeune fille ne fait pas assez confiance à la technologie pour tenter l’expérience. «Les gens pourraient aussi être déçus en arrivant, créant ainsi des tensions». Autant de raisons qui la poussent à rester là où elle se trouve.
Jonathan voit les choses différemment. Cet apprenti bibliothécaire de 23 ans est séduit par le projet. «C’est un moyen de créer un monde nouveau qui n’aurait pas un passé rempli d’horreurs». Il faut repenser les bases de cette société future et se contenter de moins de ressources. «Tous les moyens à notre disposition ici nous rongent», dit-il.
Cet enthousiasme est partagé, bien qu’un peu tempéré, par Julie, 22 ans. «Ce serait l’occasion de mettre en pratique les grands principes que l’on invoque ici pour créer un monde meilleur», estime-t-elle. Elle n’y voit pas un succès garanti d’avance, mais pense qu’il faut essayer. Il lui faudrait un projet, détaillant ce qui sera fait exactement. «Je ne veux pas qu’on retombe dans les même travers qu’ici.» Cela signifie renoncer au profit individuel, pour éviter une nouvelle ruée vers l’or. Elle entend ne pas ruiner Mars, comme on a ruiné la Terre, mais admet que, pour le moment, «tout cela semble fou».
De leur côté, Magali et Audrey n’ont pas envie de quitter leur vie terrestre et de repartir à zéro. «Surtout sur une planète dont on est sûr de rien et qui n’a pas l’air accueillante», déclare Audrey. Magali, quant à elle, n’envisage pas de quitter sa famille et ses amis. «C’est peut-être superficiel, mais je tiens à mon confort personnel», dit-elle.
Simon, 22 ans, ne se sent pas l’âme d’un pionnier. Le voyage dans l’espace le fascinerait, mais il ne voudrait pas vivre sur la planète rouge. «Il était moins impossible pour les colons de revenir des Amériques. Ils avaient aussi des matières premières sur place, qu’il n’y a pas sur Mars», dit-il. Selon lui, l’homme recréerait une société similaire. «C’est utopiste de penser tout recommencer».
Encadré :
Se rendre sur Mars, oui, mais ça coûte cher. L’expédition nécessiterait 300 à 600 billions. Il est impossible que le groupe de la Nasa, chargé de la question et dirigé par Norman Augustine, réussisse à augmenter le budget dans de telles proportions. Cela en vaut-il même la peine ?
Dans un article du New York Times, Lawrence M. Krauss, directeur de Origins Initiative at Arizona State University, propose une autre solution. Il envisage d’envoyer des astronautes sur la planète rouge, sans leur offrir de retour, à l’image des colons partant pour le Nouveau Monde. Revenir sur terre engendre une grande partie des frais. Il faut compter plus de carburant, ce qui alourdit le vaisseau qui demande à son tour plus de carburant. Rester sur Mars permettrait de prolonger les expériences scientifiques, but principal des expéditions. Cela aurait aussi l’avantage d’assurer la survie de l’espèce humaine, si un évènement terrible venait à se produire sur Terre. Et qui sait, peut-être serons-nous contents de quitter cette planète d’ici 100 ou 200 ans.
Les radiations émanant des rayons cosmiques du Soleil constituent le principal obstacle. S’y exposer réduit la durée de vie, mais s’en protéger alourdit le vaisseau, qui consommerait alors une quantité prohibitive de carburant. On peut imaginer que, sans intention de retour, les astronautes ne se protègeraient pas. Ils emploieraient au mieux le temps qu’il leur reste à vivre en poursuivant leur conquête de l’espace, plutôt qu’en revenant mourir sur Terre. Cela signifie que le voyage serait réservé aux astronautes d’un certain âge.
Tout cela semble irréel. Un groupe de scientifiques et d’ingénieurs a pourtant montré de l’engouement pour le projet lors d’une enquête informelle menée par Lawrence M. Krauss. «Aller courageusement où personne n’est jamais allé n’exige pas de retour à la maison», conclut-il.
Sonia Bernauer