On retiendra tous ce coup venu d’ailleurs décoché par Federer entre ses jambes, dos au filet, qui laisse Novak Djokovic pantois pour donner trois balles de match au maître du jeu en demi-finale de l’US Open. Le Bâlois est alors au sommet de son art. Le lendemain en finale, c’est le brusque retour sur terre. Alors que depuis Roland Garros on pensait à nouveau que rien ne pouvait arriver à notre prodige national, le jeune Argentin Juan Martin Del Potro vient bousculer toutes ces certitudes pour s’adjuger le titre à New York.
Est-ce là un échec retentissant ou une simple mésaventure qui n’empêchera pas le prodige helvétique de continuer à empiler les trophées ? Peut-être les deux à la fois. Personne ne s’attendait vraiment à voir l’homme aux 15 couronnes du Grand Chelem tomber en finale contre un adversaire qu’il avait vaincu six fois sur six dans un tournoi où il n’avait plus connu la défaite depuis 2003 et 40 victoires consécutives. D’où un impact certain. Mais cette défaite est également à considérer comme un accident de parcours car, au delà de la bravoure et des coups droits monstrueux de Del Potro, l’explication de cette défaite est à aller chercher en priorité dans l’incapacité du numéro 1 mondial à boucler le match quand il en a eu la possibilité et sa faillite totale en première balle de service.
Cependant, cela ne vient en aucun cas ternir son année 2009 qui l’a vu se marier, devenir père, jouer les quatre finales du Grand Chelem, réaliser le doublé Roland Garros-Wimbledon et récupérer son trône de meilleur joueur du monde. Qui aurait prédit une issue pareille après sa défaite amère de Melbourne face à Rafael Nadal ? Roger Federer a simplement eu ce qu’on appelle un « jour sans » ou en tout cas un jour où son meilleur tennis n’a pas été au rendez-vous sur les cinq manches. Ce mauvais jour, comme tous les joueurs à n’importe quel niveau en connaissent beaucoup, est simplement tombé sur une finale majeure cette fois-ci.
Federer est comme tout joueur de tennis, même s’il est le meilleur d’entre eux actuellement et même probablement le meilleur de toute l’histoire de ce sport, il peut aussi craquer. Mais il faut tout de même rappeler qu’il ne craque pas souvent. Rafael Nadal était jusqu’alors le seul à avoir battu le Suisse dans une finale de Grand Chelem et ce n’était arrivé que cinq fois sur les vingt finales que Federer avait disputées avant celle-ci. Qui plus est, il aurait été le premier joueur depuis Rod Laver en 1969 à gagner trois finales de Grand Chelem d’affilée s’il avait remporté celle-ci. Il a par ailleurs frôlé son quatrième Petit Chelem (trois titres la même année) en six ans. Excusez du peu ! On touche ici le coeur du problème. Federer l’a dit lui-même, il a « créé un monstre ». A force de le voir tout gagner, le public ne comprend pas qu’il lui arrive aussi de perdre.
Il est donc devenu normal que Federer amasse les titres et les records alors qu’une défaite se transforme très vite en catastrophe. Et cela, c’est au contraire anormal. L’image qui nous restera, qui doit nous rester de ce tournoi, ce n’est pas la défaite de Federer. Non, c’est ce coup magique qui a fusé la veille dans la nuit new-yorkaise sous nos yeux ébahis. Un coup parmi tant d’autres qui ont bâti et qui continueront à bâtir la légende de Roger Federer. Car une défaite ne sera jamais qu’un accident de parcours.
Raphael Iberg