Un journaliste qui n’a pas sa langue dans sa poche, un rédacteur en chef qui retourne sa veste, un questionnement sur la liberté d’expression et sur l’antisémitisme : voilà tout les ingrédients que l’on retrouve dans « L’affaire Siné ». A l’issue de cette sombre histoire, un point positif : la naissance d’un nouveau journal satirique.
Pour commencer, il convient de parler de l’homme qui est au centre de toute cette histoire.
Dans le milieu de la presse satirique, on ne présente plus Siné : Caricaturiste et dessinateur de talent, anarchiste pur et dur, Maurice Sinet (de son vrai nom) est une figure emblématique du journalisme engagé. Très tôt, il s’intéresse au dessin de presse et publie ses premières illustrations dans France Dimanche en 1952. Son coup de crayon et sa virulence sont très rapidement admirés puisqu’il reçoit le grand prix de l’humour noir la même année. Tout au long de sa vie, le bonhomme s’insurge contre la guerre, le racisme et l’Etat français, ce qui lui vaudra plus d’un ennui avec les autorités : en 1963, il est viré de L’Express pour ses propos anticolonialistes en pleine guerre d’Algérie. Bien décidé à exprimer ses opinions sur le conflit, il crée Siné Massacre, journal résolument anarchiste et anticlérical, jetant un regard corrosif à l’égard de l’état français. C’est en 1981 qu’il rejoint l’équipe de Charlie Hebdo, où beaucoup pourront apprécier sa verve dans sa célèbre chronique Siné sème sa zone. Le journal s’éteint, mais rejaillit de ses cendres en 1992 avec une nouvelle rédaction, composée notamment Philipe Val, actuel rédacteur en chef. Siné fait à nouveau partie de l’équipe, mais dès le départ, il a quelques frictions avec les nouveaux patrons.
Revenons maintenant sur les faits : le 2 juillet 2008, dans une rubrique de Charlie Hebdo, Siné fustige Jean Sarkozy en le taxant d’arrivisme. Les mots de siné sont les suivants : «.. il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! ».
L’attaque contre le jeune Sarkozy concerne donc son opportunisme, rien de plus . À partir de là, tout s’enchaîne : le 8 juillet, dans une émission de radio, Claude Askolovitch, journaliste du Nouvel Observateur, qualifie l’article de Siné d’antisémite (Jean Sarkozy, lui, n’a simplement pas réagi à l’article sur le moment). Philipe Val, le rédacteur en chef, sous le prétexte de craindre un procès de la famille Sarkozy, prie Siné de publier une lettre d’excuse. Celui-ci accepte, mais se rétracte en apprenant que le texte devra être publié à côté d’un autre texte, signé au nom de toute la rédaction de Charlie Hebdo, se disant désapprouver unanimement la chronique. Pour Siné, c’en est trop, Il dit trouver cette mesure « dégueulasse » et préférer « se couper les roubignoles » que de publier des excuses dans ces conditions (voilà de quoi vous faire une idée du langage du personnage). La suite est sans appel, Val, censé être à la tête d’un journal faisant face au pouvoir institué, vire Siné comme un malpropre. Rappelons peut-être que dans un journal, le rédacteur en chef est censé vérifier et valider tout ce qui sera publié dans son canard. Val est responsable de ce qu’il publie. Celui-ci se défend en admettant n’avoir pas lu tout l’article en question. Beaucoup de gens dans l’entourage de Charlie Hebdo pensent que Val a simplement profité de la situation pour se débarrasser du vieil homme qui savait lui tenir tête. À 79 ans, Siné se retrouve donc sans travail, honteusement limogé et dépeint comme un antisémite. Un procès, à l’issu duquel il obtiendra la relaxe, lui sera même intenter par la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) pour certains de ses propos. Mais ce qu’il faut retenir, c’est le point positif de cette histoire. Secoué mais pas abattu, le 10 septembre, Siné décide, à presque 80 ans, de lancer son propre journal « Siné Hebdo », un journal qui sera « un canard qui ne respectera rien, n’aura aucun tabou, chiera tranquillement dans la colle et les bégonias sans se soucier des foudres et des inimitiés de tous les emmerdeurs». Devant une telle prise de risques, on ne peut que s’incliner ! Une action récompensée puisque les ventes ont égalé celles de Charlie Hebdo en quelques mois. Les gens ont choisi leur camp. Le journal est disponible chaque mois au kiosque et tient ses promesses. La presse libertaire ne mourra pas tant qu’il restera des hommes aussi intègres et opiniâtres que Maurice Sinet. Longue vie à Siné Hebdo !
M.J.