Interview

Les jeunes et la lecture

« Les jeunes lisent de moins en moins. » Qui n’a jamais entendu cette déclaration désespérée ? Cependant, tout le monde n’est pas de cet avis, et l’affirmation mérite d’être mise en doute…

Il semble que l’industrie du livre se porte bien ; les ouvrages sont publiés à un rythme effréné. En ce qui concerne la lecture dans un sens plus vaste, les jeunes raffolent des blogs sur la toile, des magazines « pipoles » et des articles sportifs.
Alors, la lecture et les jeunes : une histoire d’amour qui finit mal ?
L’interview de Sylviane Zulauf, enseignante primaire (5 et 6ème année) et de Béatrice Käppeli, enseignante spécialisée (primaire et secondaire), de Bienne, permettra d’éclaircir la question.

En temps qu’enseignante, comment ressentez-vous l’évolution de la lecture chez les jeunes ces dix dernières années ?
(S.Z.) Il y a eu une évolution, mais pas forcément négative, contrairement à l’opinion générale. Il y toujours autant d’enfants qui aiment ou détestent lire ; le changement se trouve dans les ouvrages choisis : les classiques changent. Même Harry Potter n’est plus tellement en vogue, mis à part au moment où les films sortent : le lien lecture-cinéma est fort ; voir un film ou en entendre parler donne envie de lire le livre.
Actuellement, les ouvrages prétendument adaptés au élèves de 5-6ème année traitent de parents divorcés, de situations familiales compliquées, dans une tentative de dédramatiser les problèmes auxquelles sont confrontés les jeunes ; pourtant, ce qu’ils recherchent par la lecture, c’est une ouverture au monde de la fantaisie, une coupure avec la réalité.

Les élèves dont s’occupe B. Käppeli, quant à eux, ne lisent pas et n’ont jamais lu. La lecture, c’est simple : ils l’évitent, que ce soit dans un livre, un journal ou sur internet, avec une exception pour les Bandes-Dessinées. Cependant, un changement intéressant se dessine grâce à Facebook ; sur le réseau social, les jeunes lisent et écrivent ! C’est une grande avancée, puisque le message écrit reprend du sens.

Pourquoi un enfant n’aime-t-il pas lire ?
(B.K.) Il y a deux raisons : le côté technique de la lecture – ces enfants manquent de pratique ; il ne faut pas oublier que l’apprentissage de la lecture est un procédé très complexe, qui requiert du temps – et la finalité : à quoi sert-il de lire, puisqu’on peut se débrouiller autrement? Un mécanicien doit-il savoir lire? En Suisse, sans doute, mais ce n’est pas l’avis d’un enfant. L’école devrait s’investir considérablement plus dans ce domaine ; après les années d’étude obligatoires, les jeunes perdent contact avec l’écrit, car ils ne connaissent pas le plaisir de lire.

Pour S. Zulauf, le milieu socioculturel est déterminant ; si les livres sont présents à la maison, si les parents racontent des histoires à leur enfant depuis son plus jeune âge, celui-ci considérera comme étant « normal » de prendre un livre ou de lire le journal. Ceux qui n’ont pas cette chance ont une opportunité d’apprendre à apprécier la lecture par le biais de l’école. Si un enseignant parvient à insuffler cet intérêt à certains de ses élèves, il peut être fier de lui.

Comment le rapport des jeunes à la lecture va-t-il évoluer ? Les supports audio-visuels remplaceront-il un jour complètement le texte écrit ?
(S.Z.) Non ; à mon avis, ils vont évoluer parallèlement. Un film est très utile, il permet de transmettre de l’information ou du rêve. Toutefois, on ne peut pas s’y arrêter, les images nous sont données, alors que le livre laisse place à l’imagination. Quant aux documentaires, ils nécessiteront toujours un support textuel pour poser la réflexion. Ne serait-ce que sur son ordinateur, l’enfant doit lire. La lecture n’est pas en baisse, en témoignent les quantités de bouquins produits et édités chaque semaine !

Selon B. Käppeli, le domaine d’évolution le plus probable est Facebook. Le problème est qu’il est difficile, voire impossible, d’évaluer la quantité de lecture qui est faite sur le réseau. Le quotidien gratuit « 20 Minutes » remporte également un certain succès chez les adolescents.

Les manuels scolaires d’il y a 30 ans inspirent souvent un profond ennui ; le remplacement du texte brut par une version plus imagée est-elle favorable à l’apprentissage ?
(S.Z.) L’image est importante, elle attire l’attention et permet une représentation visuelle. L’enfant voit l’image, puis lis le commentaire en-dessous. Quand il se documente sur internet, les pages de texte brut le rebutent, il lira plus volontiers celles qui contiennent une photo.

Comment ont évolué les méthodes d’enseignement, parallèlement à tout cela?
(S.Z.) Les livres d’apprentissage ont été considérablement améliorés : on n’y fait plus la morale, ils sont variés… Un effort a été fait, dans le bon sens. Et puis, les élèves en difficulté, très tôt dépistés par les responsables d’école enfantine, reçoivent une aide immédiate, par les logopédistes, les cours de soutien, etc.
Aujourd’hui, on est plus attentif à la compréhension d’un texte qu’à sa lecture à haute voix, domaine où les enfants ont des difficultés.

Que pensez-vous des statistiques qui affirment que les enfants lisent moins ?
(B.K.) Il faut les prendre avec des pincettes. Tout d’abord, les premières statistiques concernant la lecture n’ont pas été faites il y a si longtemps, on ne peut donc faire des comparaisons que sur une période relativement courte. On peut faire dire ce que l’on veut à une statistique… Je pense que les lecteurs sont aussi nombreux maintenant qu’il y a 30 ans. Par ailleurs, les possibilités de distraction (ordinateur, Gameboy, cinéma) n’ont pas d’influence sur la consommation de lecture, pour moi. A la campagne, on lit moins, bien que les distractions soient moins présentes.

La lecture est-elle indispensable ?
(B.K.) Elle est capitale ! En ouvrant l’accès à d’autres mondes, elle oblige à élargir la pensée. On n’écrit pas comme on parle, il existe considérablement plus de mots pour s’exprimer sur le papier… Or, n’importe qui pourrait lire. Le problème, c’est que l’école stigmatise les mauvais élèves : elle crée la relation « la lecture, c’est l’école, donc c’est l’échec » et rate de ce fait sa mission, qui est évidemment loin d’être simple.
L.D.

Spectacles

Un choix empoisonné

Muriel Chiffelle
Du 16 au 23 novembre à la salle de spectacles de la Cité Universitaire, le THUNE (Théâtre Universitaire Neuchâtelois) présentait « Peanuts » une pièce théâtrale savoureuse signée Fausto Paravidino, mise en scène par Alain Borek et magnifiquement interprétée par les jeunes talents de la troupe. Retour sur une première représentation réussie.

Les spectateurs sont accueillis par une musique légère mais pétillante, répandant sa mélodie tout au long de la présentation des protagonistes de l’histoire qui se retrouvent réunis à la façon d’une photo de famille. Le personnage principal, Buddy, s’en retrouve  presque étouffé derrière tous ses congénères. Ce prélude s’annonce énonciateur de ce qui va se passer  par la suite.
Chargé de surveiller seul un appartement qui n’est pas à lui, Buddy se retrouve vite confronté  à une situation délicate : il s’agit pour lui de gérer un groupe d’amis venu s’installer dans l’appartement. La tâche ne va pas se révéler évidente et les ennuis vont s’additionner. Malgré une présence envahissante et une bonne foi apparente, les amis de Buddy ne vont pas lui être d’un grand secours et ce dernier va se retrouver  assez seul pour gérer la situation. Dépité, il va encore devoir affronter les reproches sévères du fils des propriétaires de l’appartement à l’arrivée de celui-ci. De plus, Buddy va se retrouver confronté à un ordre qui pourrait bien tout changer : chasser ses amis de l’appartement. Docile, il accepte.
Un bond de dix ans dans le futur amène alors les spectateurs dans un tout autre univers, froid, sombre et austère. Un monde carcéral se dessine alors, dans lequel les spectateurs découvrent des gardiens distants et froids ainsi que des prisonniers dont l’état de santé est préoccupant, mais dont les gardiens ne semblent pas se soucier. C’est qu’ils doivent veiller à la démocratie afin de la protéger de la menace que représentent ces opposants prisonniers. Une menace qui va se révéler être un problème lorsqu’un des prisonniers est retrouvé mort faute de soins suffisants.
Parmi ces gardiens se trouve Buddy et les prisonniers qu’il côtoie tous les jours ne sont autres que quelques-uns de ses anciens amis. Les années ont passé et Buddy se demande comment la situation aurait évolué s’il avait refusé de chasser ses amis de l’appartement dix ans plus tôt. S’il avait eu le courage de s’opposer, de refuser, les circonstances auraient pu être différentes et le fils des propriétaires se serait retrouvé impuissant.
Remplie d’humour, frais et actuel, cette pièce propose un regard sensible sur la société d’aujourd’hui, ainsi que les choix personnels de chaque être humain et plus particulièrement sur la démocratie. Le spectateur se sent transporté  par des sensations variées et un jeu d’acteur saisissant de réalisme issu d’une mise en scène subtile mais efficace. Les messages que le spectateur peut identifier, se révèlent simples mais jamais moralisateurs, ne fournissant pas distinctement un jugement en noir ou blanc, mais en laissant une vraie liberté d’interprétation. La pièce est à peine terminée qu’un lot de pensées défile dans notre tête. Parmi elles, la réflexion suivante parvient  à notre esprit : après tout, cette bande de copains aurait très bien pu être la nôtre !