Interview avec Pierre Emmanuel Buss du journal «Le Temps»

Pierre Emmanuel Buss travaille depuis avril 2000 au journal «Le Temps». Trois ans plus tard, il décide de devenir correspondant régional de ce quotidien à Neuchâtel, sa ville natale. Comme la majorité des journalistes, il utilise les méthodes du journalisme d’investigation. Il a bien voulu nous éclairer sur ce style de journalisme qui est en voie de disparition.

-Quelle est votre définition du journalisme d’investigation ?
-On peut dire que c’est aller chercher de l’information sans qu’on nous la serve sur un plateau. Il faut enquêter comme un vrai policier, en cherchant des éléments dissimulés pour éclaircir certaines affaires.

-En quoi le journaliste d’investigation diffère du journaliste dit «normal» ?
-Aujourd’hui, les journalistes travaillent plus souvent par agenda. Ils ont tendance à ne faire que des comptes rendus de conférences, d’interviews ou d’autres événements. Mais, la plupart d’entre eux continuent à utiliser l’investigation pour approfondir leurs sujets. Les deux styles se sont mélangés. Il n’y a plus de réelle frontière entre les deux, même si on trouve encore des journalistes qui ne font que de l’investigation. Mais ceux-ci deviennent rares.

-Faut-il suivre une formation spéciale pour devenir journaliste d’investigation ?
-Non, pas spécialement. Il faut être curieux et avoir de bons contactes. Mais tout d’abord, on doit avoir une longue expérience du métier. Au fil de sa carrière, le journaliste apprend à connaître des sortes de «grands frères». Ceux-ci peuvent le protéger et le guider dans certaines investigations. S’il veut dévoiler des secrets politiques ou économiques, il doit pouvoir compter sur plusieurs informateurs crédibles. Le risque de bavure et de diffamation reste toujours très grand. La recherche doit être la plus objective possible.

-La course au scoop dans la presse actuelle et la pression de la concurrence se font-elles sentir dans le travail des journalistes d’investigation ?
-Dans la Suisse romande, les quotidiens ont toujours moins d’argent pour entretenir de longues enquêtes. L’investigation perd du terrain par rapport au journalisme par agenda. Ici, je parle d’investigation politique et économique, car la presse «people» où l’on dévoile les secrets des vedettes, a trouvé une place majeure dans quelques quotidiens romands. Du côté de la Suisse alémanique, la situation est différente. Ce sont surtout les éditions du dimanche de quelques grands journaux qui n’hésitent pas à dévoiler des scandales dans le milieu politique et économique. Grâce à des tirages à plus de deux cent mille exemplaires, ceux-ci possèdent les moyens nécessaires à de longs travaux d’investigation.

-Le journalisme d’investigation a-t-il un avenir en Suisse ?
-Les grands quotidiens romands tels que «L’Hebdo», «Le Temps» ou «La Liberté» de Fribourg, tiennent à tout prix à garder une investigation libre et dynamique. Mais avec les nombreuses restructurations, les moyens financiers pour un tel journalisme rétrécissent à vue d’œil.
-Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite devenir journaliste d’investigation ?
-Il doit suivre une formation convenable, acquérir une solide expérience et ne pas avoir peur de se brûler les doigts avec des affaires scandaleuses. Sa recherche doit reposer sur des faits objectifs. Parfois il vaut mieux vérifier une information une fois de trop, car un procès pour diffamation peut nuire à toute carrière journalistique.

SdS

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