Avant tout, je tiens à remercier Audran* d’avoir accepté de répondre à mes questions. Parler d’une dépression n’est pas chose facile, surtout quand elle nous accompagne à chaque instant. Ne voulant pas rendre cet entretien trop formel, le choix du tutoiement s’est imposé comme une évidence. *nom d’emprunt
Peux-tu faire une description de ce qu’est une dépression bipolaire ? (symptômes, soins, effets, hérédité, etc. différence avec une « standard » ?)
La dépression bipolaire : Si vous voulez, cela fonctionne par phases. Il y a principalement trois genres de phases : La phase dépressive, La phase euphorique (phase d’excitation), et la phase agressive. Ces trois phases se chevauchent. Un exemple : je suis dans un état « normal », je vois un ami, je deviens euphorique, et il suffit qu’il se passe un tout petit événement sans importance pour que je me mette à fondre en larme. En 1 minute je serais passé du stade « normal » au stade « heureux » puis « dépressif ».Ce qu’il y a de différent avec une dépression classique c’est que tout est inattendu, un changement de phase peut arriver n’importe quand, et c’est impossible de le cacher. Pour les soins, je prends des médicaments qui calment en quelque sorte mon humeur, atténuent les phases dans lesquelles je me trouve. Je suis également suivi par un psychiatre.
Est-ce dur de vivre avec ? Ou non ? Pourquoi ?
C’est très dur de vivre avec quand on n’a pas de solution, parce qu’on ne choisit pas ces changements de phases. Dans mon cas, j’étais submergé, sur le moment je ne remarquais pas le changement de phase, ce n’est que plus tard avec du recul (ou au moment ou je passais dans une phase dépressive) que je voyais que ça n’allait pas, et notre comportement peut être très mal vu, quand on ne connait pas la pathologie.
Comment est-ce perçu par ton entourage ?
Mon entourage me connait, et au moment où je suis tombé malade, il voyait bien que cela n’allait pas mais que ce n’était pas dû à mon caractère ou à ma personne. Quand à mon entourage actuel, certains savent que je suis en traitement, d’autres pas. On voit encore, malgré mon traitement mes changements de phases atténués.
Comment est-ce que tu te sens par rapport à ça ? (inférieur, dangereux, unique, etc.)
Je ne me sens pas normal, ou comme les autres, parce que jour après jour je vois que ce n’est pas le cas, j’ai un passé disons peu banal qui m’a rendu différent, plus sensibles à certaines choses qu’à d’autres. Et je remarque ces différences que j’ai par rapport aux autres tous les jours. Ceci dit, cela ne m’empêche pas de bien le vivre.
La considères-tu comme une maladie ?
Comment répondre …? Oui c’est une maladie, qui est difficile à gérer.
Est-ce que c’est possible de complètement perdre le contrôle ? Est-ce que ça t’est déjà arrivé ?
Ça arrive, un exemple, j’étais en cours, la prof m’a repris, alors que je sentais ne rien avoir fait, je suis devenu agressif, j’ai tout déballé ce que je pouvais dire, j’ai Renversé mon pupitre, ma chaise, je suis sorti de classe et j’ai claqué la porte. 10 secondes après être sorti, j’ai fondu en larmes, je ne savais plus quoi faire. Le truc avec cela c’est que quand on perd le contrôle, il est parfois difficile de rattraper les erreurs faites.
Connais-tu d’autres personnes qui l’ont aussi ? Est-ce que tu peux en parler avec elles, comparer ?
Ma grand-mère, et elle s’est suicidée.
Est-ce que tu arrives à influencer sur les effets ? Pour te sentir mieux par exemple, ou alléger l’impact ?
Maintenant que je suis en traitement, j’arrive à gérer plus ou moins mes phases, je sais quel comportement adopter à quel moment pour ne pas rendre la phase plus « intense », mais
réellement influencer mes phases j’en suis incapable.
Penses-tu qu’un jour tu t’en seras complètement défait ?
Je ne sais pas si un jour j’en serai complètement défait, mais je sais que ce n’est pas grave pour
moi. Mon état actuel me va bien pour le moment en sachant par où j’ai du passer.
On dit souvent que le suicide découle de la dépression. Y as-tu déjà pensé ?
J’y ai pensé oui. Je ne sais pas si j’aurais été capable de passer à l’acte, mais je désirais réellement en finir.
Tu m’as dit une fois que tu avais été hospitalisé à cause de ta dépression, non ? Est-ce que tu pourrais être plus précis ? Pourquoi exactement ? Est-ce que ça a permis d’améliorer quelque chose ?
On ne pouvait plus vivre avec moi, à la maison il y avait tout le temps des crises. Alors avec
ma psychiatre du moment on a décidé ainsi. Je suis allé dans une clinique, qui était en réalité plus un foyer ou il y avait des jeunes, et où l’on était suivi par un psychiatre, et d’autres personnes qualifiées. J’y ai appris beaucoup de choses, quels comportements adopter lors de problèmes, et par-dessus tout, c’est là-bas que l’on a trouvé mon traitement. J’ai détesté y être, mais je sais
combien cela m’a été utile. Sans cela je ne serai pas dans mon état actuel.
Une dernière chose que tu aimerais ajouter ?
Par rapport à la 9) je sais que je pourrai commencer à arrêter mon traitement une fois que j’aurai une vie stable, un métier etc. je pense qu’à ce moment je n’aurai quasiment plus de soucis à ce niveau.
M.S.