Dans le Nordeste du Brésil, une petite favela décide de lutter contre la pauvreté en créant sa propre monnaie, le palmas. Grâce au développement d’un organisme de microcrédit soutenu par un réseau de solidarité au sein du quartier, cette population est aujourd’hui passée de la précarité à la croissance… Un modèle de réussite laissant pantois les plus grands économistes !
Lorsque dans les années 70 cent mille personnes sont reléguées dans une petite favela du Nordeste du Brésil pour laisser place à de somptueux complexes hôteliers en centre-ville, on ne donnait pas cher de leur peau. Délaissés par l’état, sans argent ni eau potable, les habitants de la Conjuntos Palmeiras se retrouvent sans perspective d’avenir… ou presque : il leur reste leurs rêves, leur imagination et une solidarité qui peut déplacer des montagnes.
En 1998, une petite association d’habitants tente de répondre à une question simple : pourquoi sommes-nous pauvres ? Après avoir fait circuler un questionnaire sur les pratiques de consommation, ils remarquent que plus d’1,8 mio de reais (ndr : ? 1 mio CHF) ont été dépensé par la communauté hors de la favela. L’argent existe donc, le problème étant qu’il n’y reste pas. Tout est acheté en ville, faute de producteurs locaux. Pour pallier le problème, l’association met sur pied un système de troc. Utile, il ne suffit pourtant pas à inverser la tendance. Puis, dans les années 2000, une idée jaillit : créer leur propre monnaie. Locale, cette dernière n’aurait cours que dans le quartier, si bien qu’elle ne pourrait plus s’envoler dans les poches des grandes
multinationales.
En 2002, grâce aux soutiens d’une ONG hollandaise ainsi que de la banque du Brésil, la petite communauté reçoit 2’000 reais leur permettant de fonder leur banque, la Banco Palmas. Le principe est ingénieux : d’un côté la banque accorde des prêts en reais aux entrepreneurs désireux de développer leur activité ; d’un autre, les habitants bénéficient de crédits (sans intérêts) en palmas, une monnaie écoulable uniquement dans les échoppes de la favela. Une carte de crédit en palmas verra même le jour quelques temps plus tard.
Les résultats de ce cercle vertueux ne se font pas attendre : la production se développe, créant ainsi des emplois, ce qui soutient la consommation et permet la création d’un marché. Ce marché s’étend, appelant à de nouveaux besoins et donc à de nouveaux producteurs, ce qui crée de nouveaux emplois… En dix ans, ce sont plus de six entreprises (dont un atelier de couture et une usine de produits d’entretien) qui ont vu le jour, créant 1’800 emplois et permettant une
augmentation de la consommation de 30%. La favela est aujourd’hui un quartier reconnu par l’Etat, possédant un réseau de transports publics et un accès à l’eau potable. Les jeunes en profitent également par le biais des apprentissages et d’une école fondée et soutenue par la florissante Banco Palmas.
Un cas exemplaire de développement socio-économique qui doit son succès principalement à un réseau solidaire et à une organisation démocratique sans faille. En effet, la banque est possédée et gérée par la communauté, chacun ayant son mot à dire. Cependant, nous pourrions nous demander quelles sont les limites d’un tel système : est-il réellement possible de dépasser la production des simples biens de bases ? Cette autosubsistance est-elle compatible avec les
nouvelles technologies ? De plus, leur indépendance n’est que relative, la banque dépendant encore en grande partie du soutien d’organisations et de banques pour maintenir leurs fonds propres.
Malgré quelques bémols, une chose est claire : des modèles économiques alternatifs existent et fonctionnent, laissant plein d’espoirs aux communautés pauvres. Ainsi, la monnaie n’est qu’une fiction, un outil qui se doit de rester au service de l’être humain plutôt que de le soumettre. Une leçon que la Banco Palmas a comprise… et qu’il s’agit de garder en tête lorsqu’on s’interroge sur
l’inexorabilité du capitalisme et la fin des solidarités.
Lucy Linder