L’association Regards Neufs a pour mission de rendre accessible aux malvoyants et malentendants les cinémas romands. Un film par mois est projeté en audiodescritpion dans trois villes. Rencontre avec Bruno Quiblier, directeur de l’association. Photo : Web
La salle est sombre et silencieuse, Omar Sy et son « Chocolat » commencent leurs pirouettes de clown. Une séance comme les autres au Pathé Balexert de Genève. Seulement, une voix vient bousculer cette habitude, décrivant les décors, les costumes, les gestes, les émotions. Depuis 2010, Regards Neufs propose ces séances audiodécrites. Pour le plus grand plaisir des malvoyants passionnés de 7ème art. « Je suis un fidèle client des séances de Regards Neufs, et cela depuis trois ans. » Jean-Luc est malvoyant, mais n’a pas renoncé au cinéma pour autant : « Le fait d’être malvoyant permet de laisser une place beaucoup plus grande à l’imagination, à la manière d’un livre, ce qui est généralement difficile dans le cinéma. » Toutefois, la séance de « Chocolat » n’a pas trouvé grâce aux yeux de Jean-Luc : « La musique du film était trop forte. On n’entendait même plus l’audiodescription ! » Mais il tient à préciser que « dans la quasi-totalité des cas l’audiodescription est tout à fait réussie. »
Faciliter l’accès au cinéma
Regards Neufs, c’est avant tout une organisation de passionnés. Directeur de Base court, une association visant la promotion de courts-métrages, Bruno Quiblier se rend compte qu’aucune structure n’est proposée aux malvoyants et aux malentendants pour profiter de séances adaptées à leur handicap. « Regards Neufs devait permettre un accès facilité au cinéma. Avant, il n’y avait rien en Suisse romande, alors que dans d’autres pays l’audiodescription était déjà bien ancrée dans le paysage. »
Mais l’audiodescription ne touche pas seulement le cinéma. La télévision est également un terrain sur lequel se développe la technique. « La RTS est désormais obligée de proposer une centaine de programmes par année en audiodescription », explique Jean-Luc. Une partie des programmes français sont eux aussi audiodécrits, élargissant ainsi l’offre télévisuelle. Du moins lorsque ceux-ci sont correctement transmis. Jean-Luc confie : « Le canal audiodécrit de certains programmes français ne fonctionnait pas chez moi. Après quelques téléphones et quelques lettres, mon opérateur a fini par s’intéresser au sujet. » Selon Bruno Quiblier, « Chaque pays a une façon de faire, un type de fichier accepté. Toutes ces normes techniques rendent la diffusion de ces programmes plus compliquée. »
« On ne s’improvise pas audiodescripteur »
Rendre tous ces films accessibles aux malvoyants ne serait pas possible sans une personne : l’audiodescripteur. « C’est un vrai travail. On ne s’improvise pas audiodescripteur. À Regards Neufs, deux personnes se consacrent à cette tâche », affirme Bruno Quiblier. « Leur travail consiste à regarder le film, trouver les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue qui ne sont pas audibles et écrire les textes qui doivent pouvoir se caser entre les dialogues et la musique. Le résultat est ensuite validé par une personne malvoyante. Pour une minute de film, il faut compter une heure de travail. Pour cette raison, les audiodescripteurs sont généralement deux et se divisent le long-métrage. »
En France, chaque film doit avoir son audescription. Ce n’est pas encore le cas en Suisse, mais les choses vont changer sous peu : « Dès le 1er juillet, la loi imposera à la plupart des films suisses d’être audiodécrits. Seulement, il y a un problème : une audiodescription coûte entre 7’000 et 9’000 CHF, mais aucune aide de l’Etat n’est prévue pour soutenir les frais supplémentaires dûs à l’audiodescription. La somme devra être entièrement prise en charge par les producteurs », explique le directeur de Regards Neufs. Des négociations sont encore en cours sur ce point.
Le smartphone, l’avenir
« Les séances spéciales que nous programmons ne seront bientôt plus proposées. » Cela peut paraître étrange, mais c’est une bonne nouvelle qu’annonce Bruno Quiblier. « Bien qu’elles soient la meilleure solution pour le moment, ces séances ont de nombreux défauts. Elles ne permettent aux malvoyants que trois dates par mois pour voir un seul film qu’ils n’ont même pas choisi ! Grâce aux smartphone et à une application dédiée, les malvoyants pourront écouter l’audiodescription via un casque dans chaque cinéma, pour n’importe quelle séance. »
Les avancées technologiques aideront également les malentendants. « Avec les lunettes connectées, il sera possible pour chaque personne handicapée de la vue d’avoir des sous-titres adaptés à elle pour chaque film » affirme Bruno Quiblier.
Ces nouvelles technologies sont attendues pour septembre. D’ici là, rendez-vous sur www.regards-neufs.ch pour l’agenda des séances à venir.
MaG