« Nous n’aspirons pas à devenir une grande Biennale »

Jusqu’au 22 mai le Musée des beaux-arts de la Chaux-de-Fonds sera en pleine effervescence artistique. La raison ? La 72e Biennale d’art contemporain. Cette édition atteint des records : 46 artistes exposés en 2016, contre 32 en 2013. Alors que de nombreuses biennales ont fleuri ces vingt dernières années, focus sur la particularité de celle-ci, à travers sa directrice, Lada Umstätter.

Photo: D. Enssle

Son planning est à l’image de celui du musée : chargé. La réouverture après un an de travaux, deux expositions photographiques, le nouvel accrochage de la collection, sans oublier la Biennale. A peine arrivée, Lada Umstätter repart au pas de course. Un collaborateur lui demande de vérifier en urgence que « l’inondation (!) » n’a endommagé aucune œuvre. Tout est en ordre. La directrice se libère une heure pour dépeindre une Biennale pas comme les autres.

L’article.ch : Quelle est la particularité de cette 72e Biennale par rapport à d’autres événements similaires ?

Lada Umstätter : Sa longévité : 150 ans, ce n’est pas rien. Il s’agit probablement de la plus ancienne Biennale en Suisse. Elle existait déjà avant le MBA (Musée des beaux-arts). D’ailleurs, ce dernier a été construit grâce au succès de l’exposition bisannuelle. Une autre spécificité : les artistes doivent amener leurs créations sur place afin qu’elles soient sélectionnées. Cette année, 165 participants ont présenté plus de 450 œuvres au jury. Le jour J, c’est vraiment impressionnant ! Le musée prend des airs de caverne d’Alibaba.

L.ch : Les immenses foires internationales d’art, comme Art Basel qui accueille près de 100’000 visiteurs, vous font-elles concurrence ?

L.U. : Non, leur but est totalement différent. Les foires d’art réunissent principalement les galeristes professionnels et les collectionneurs. Chez nous, au contraire, la partie commerciale est minime. Tout nous différencie : les prix, la promotion, la portée internationale. Nous n’aspirons pas à devenir une grande Biennale. La possibilité d’offrir une scène aux artistes de la région, c’est aussi ce qui nous caractérise. Le lieu, les délais, le règlement restent inchangés. Les participants ont donc le temps de se préparer.

L.ch : Les artistes exposés sont-ils choisis différemment dans une foire d’art ?

L.U. : Les foires sélectionnent les galeristes. Impossible, donc, de soumettre une œuvre directement à la foire. Afin d’être exposés, les artistes doivent être représentés par un galeriste. Art Basel et le récent salon artgenève (ndlr : 1ère édition en 2012), fonctionnent sur ce système. Chez nous, la relation avec les artistes est plus directe. Autre particularité, notre jury change à chaque édition. Il est composé de deux membres de la SaMba (Société des amis du Musée des beaux-arts), qui organise la Biennale, et trois professionnels d’art. Ces professionnels, si possible, viennent de l’extérieur du canton, ou ne connaissent pas encore les artistes en compétition. Le but étant d’avoir un regard objectif.

L.ch : Etes-vous limités dans certains domaines par rapports aux grands événements d’art ?

L.U. : Pas vraiment, sauf pour quelques exigences techniques. Les créations ont une taille maximum à respecter, pour des raisons évidentes de place. L’accrochage est toujours effectué par l’équipe du musée. Exception faite cette année de l’œuvre « Croque-Messieurs » de Geneviève Petermann. Les portraits (sur toast !) étant très fragiles, nous étions ravis que l’artiste se propose pour l’installation. Pour les œuvres les plus imposantes, nous acceptons de les examiner sur dossier, donc pas besoin de les déplacer au musée pour la sélection.

L.ch : Êtes-vous subventionnés par des fonds publics / fonds privés ?

L.U. : Le budget de fonctionnement du MBA est financé par la ville de la Chaux-de-Fonds. Je me demande d’ailleurs pourquoi nous ne recevons pas un sou du canton…Mais ce budget de base ne suffit pas pour une Biennale. Il nous reste à trouver 120’000 francs pour la campagne d’affichage, les prix pour les artistes, l’édition du catalogue. Pour lever ces fonds, la SaMba cherche des sponsors. En tant que musée, il est essentiel de remplir notre rôle de service public. Nous cherchons avant tout à rendre la culture accessible, pas tellement à faire des bénéfices.

L.ch : Quel est le public de cette Biennale ?

L.U. : Un public majoritairement régional. La Biennale est une manifestation énormément attendue de tout le canton. Étonnamment, nos expositions antérieures comme Le Corbusier ou Blaise Cendrars ont attiré un large public hors-cantonal. A la Biennale, beaucoup de nos visiteurs sont des habitués. Certains viennent d’ailleurs uniquement pour l’occasion ! Une autre part du public se déplace par curiosité ; pour venir voir l’œuvre d’un proche, d’un ami, ou même d’un voisin. Cette édition, nous attendons quelques milliers de personnes. Le Musée est plutôt excentré, alors pour nous chaque visiteur est mérité !

L.ch : Un coup de cœur parmi les œuvres exposées ?

L.U. : Oui…mais je ne révélerai pas lequel. Je vous avoue que, même dans ma vie privée, il est difficile pour moi de dire : « j’aime cette œuvre ». Ma formation en histoire de l’art m’a probablement conditionnée. En première année, on se faisait taper sur les doigts si l’on évoquait sa préférence. J’ai donc appris à analyser la composition, les couleurs, le contexte historique. Quant aux échos du public de cette 72e Biennale, en ressort surtout la difficulté de choisir parmi tant de diversité. C’est un signe positif ; nous avons sélectionné plusieurs œuvres fortes.

L.ch : Une nouveauté de la précédente Biennale : le jury des jeunes critiques. A la clé, un prix de plus pour les artistes. Pourquoi avoir réitéré l’expérience en 2016 ?

L.U. : Pour montrer aux jeunes que nous sommes ouverts à tous, que l’art n’est pas élitiste. Trente ans en arrière, il était très mal vu d’amener des enfants à une exposition. Depuis, les musées ont bien changé ! En effet, les enfants d’aujourd’hui sont notre public de demain. A ma connaissance, notre Biennale est la seule à avoir mis en place un tel jury. Le Prix décerné par les jeunes critiques est également le plus émouvant pour les artistes.

L.ch : Comment initiez-vous ces jeunes à l’art contemporain ?

L.U. : Comme le grand Jury, les jeunes critiques se retrouvent deux après-midis. Le premier jour est sous forme d’atelier. Ce sont eux qui fabriquent le prix à offrir à l’artiste gagnant. Ils sont libres d’imaginer une récompense sur le moment. L’art contemporain parle mille fois plus aux enfants car ils n’ont pas de préjugés. Certains adultes, au contraire, ont comme un blocage. Ils se disent :« j’aurais pu le faire moi-même ».

L.ch : Que voudriez-vous que les visiteurs retiennent de la Biennale ?

L.U. : Que les artistes ont une sensibilité particulière. Ils ressentent plus fortement tous les soucis et les bonheurs du monde. La tonalité assez sombre des œuvres exposées n’est pas un hasard. Selon moi, cette Biennale reflète la crise multiple – économique, écologique, existentielle – de ces dernières années. J’entends parfois « l’art est devenu violent ». Mais l’art ne fait que refléter notre vie. Un second message important à mes yeux : l’art n’est pas élitiste. Votre voisin peut très bien être exposé à la Biennale. Les artistes, contrairement à ce que l’on pourrait croire, sont des gens très accessibles.

D.E.

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