La Corse par ses sommets

 

Le GR20 en Corse attire de plus en plus de monde sur ses sentiers. Sa réputation est mondiale et sa difficulté incontestée… J’ai voulu le voir de mes propres yeux et le parcourir de mes propres pas. Du haut des sommets Corse, quelques souvenirs incandescents et inoubliables.

 

Un rêve de gosse. Un carillon incessant dans un coin de la tête. Jusqu’à l’aboutissement, la concrétisation. D’abord la préparation du périple. Le trekking se peaufine : mentalement, physiquement et surtout au niveau du matériel. Hors de question de partir n’importe comment sur de la moyenne ou de la haute montagne. Un “avant pendant après” où toutes les émotions se bousculent. Une aventure montagnarde qui se vit à chaque instant et qui ne s’oublie pas. Un challenge sportif, une expérience humaine, mais peut-être surtout, et avant tout, une découverte sur soi incomparable. Bienvenue en Corse, dans la fraîcheur des pinèdes, dans la difficulté technique des pierriers, au coeur d’un Parc Naturel unique, sur des crêtes vertigineuses, au creux des ruisseaux secrets, au sein de l’âme Corse, où l’isolement et la nature sont omniprésents, là où la roche et le soleil ardent ont creusé des sillons et forgé des caractères bruts.

« Ces montagnes ont toutes leur histoire et font vivre ces instants d’inspiration où l’on est entièrement coupé du monde d’en bas ». C’est avec cette conviction que je côtoie humblement quelques montagnes depuis quelques années et le GR20 me faisait de l’oeil, en douce je pouvais voir la variété de ses roches en fermant les yeux. Une belle occasion que le début de cet été pour se lancer. Six mois de préparation en amont et une hâte incommensurable, voilà ce qui a précédé l’aventure. Raquettes l’hiver, randonnées en altitude dès que le temps devint clément, course en montagne et recherche d’informations ont contribué à son bon déroulement.
À peine le temps de finir mes examens que le départ se profile. Mais alors, que faut-il pour partir deux semaines en montagne ? Avec mon amie nous avons décidé de vivre ce trek à deux, en semi-autonomie. C’est à dire que nous avions notre tente, notre sac de couchage, quelques vivres, mais que nous nous ravitaillions dans les refuges et bergeries qui ponctuent régulièrement les sentiers. Peu de vêtements, légers, qui sèchent vite et imperméables, de bonnes chaussures, un sac adapté (qui sera à la fois mon meilleur ami et mon pire ennemi), un bon stock de crème solaire, une serviette micro-fibres, des gourdes, une trousse de secours, une popote, un couteau suisse (indispensable allié), etc… La liste est longue, mais un mot est de mise : léger ! Et malgré toutes mes précautions le verdict est plutôt lourd, 14 kilos sur le dos pendant 14 jours avec deux litres d’eau et le pique-nique compris.

C’est enfin le grand départ, la déconnexion complète du quotidien et de nos vies respectives. Ici, dans la montagne, nos seules armes sont nos pas. Le reste est superflu, lointain et hors de portée. Nous sommes désormais plongées dans la grandeur du moment présent, au coeur des massifs, au-delà des cimes. Et c’est un nouveau quotidien qui se livre : celui des réveils plus que matinaux, des repas gargantuesques mais frugaux pour remplir durablement nos estomacs affamés, celui du plantage-démontage de tente, celui de l’émerveillement constant, du dénivelé qui s’accumule, de la hauteur qui se joue de notre vue, de notre vertige et de nos sens. C’est aussi un nouveau visage humain, celui construit par la rudesse de la vie, ridé par les vents, buriné par le soleil. Ce sont des rencontres, chaque jour plus belles, inoubliables et unies par un seul mot d’ordre : passion. La même passion d’être dehors, de découvrir les splendeurs de l’île de beauté, de s’ouvrir à la nature, de s’enrichir humainement, de relever ce défi sportif, de se dépasser, de se surpasser, de repousser ses limites.

Au fil des journées qui s’enchaînent à un rythme bien particulier les jambes se font plus aiguisées, elles savent désormais ce qui les attend. Pourtant chaque jour est différent et offre de nouvelles vues imprenables, d’autres surprises verticales. L’esprit se fait plus vagabond, à l’image de notre allure. Les refuges se succèdent et ne se ressemblent jamais, le panorama est toujours saisissant, révélateur des secrets de la roche et du granit rouge. Douche froide au menu tous les soirs, sur un lit de féculents avec supplément bonne humeur. Le coucher se cale sur celui du soleil, qui, chaque soir nous illumine d’un dernier rayon féerique. L’ambiance est paisible, souvent accompagnée de rires fatigués, mais heureux. Je me rappelle de cet homme d’un âge respectable, à la sagesse vénérable et aux rides rugueuses du randonneur qui a parcouru des distances phénoménales. Il nous racontait autour d’un bon repas ses périples, humblement, sans prétention aucune. “Le GR20 reste le plus beau à mes yeux, la preuve, j’y retourne encore et encore sans lassitude, sa beauté est escarpée et sauvage et puis je découvre à chaque fois de nouveaux chemins et de nouvelles sensations”.

Je me rappelle aussi de ce vagabondage de l’âme, d’un état à un autre en un quart de seconde. Chaque émotion décuplée, à l’état brut. Cette inébranlable envie d’aller de l’avant, d’aller plus haut, d’aller chercher plus loin. Entrecoupée par des instants de doute, de peur, de douleur physique, de nervosité et d’énervement. Oui, chaque émotion prend une place conséquente en l’espace de deux semaines. Alors il faut les accepter, les prendre avec soi, les poser sur son dos et continuer, un pas après l’autre, sans compromis ni rédemption. Je me rappelle de cette euphorie soudaine, de cet émerveillement qui suit la fatigue. De ces moments de partage intense avec l’Autre et avec la Nature. Je me rappelle de chaque détail, de chaque sommet, de chaque sourire.
Parties de Conca, à l’extrême Sud de l’île, nous remontons progressivement. Les Aiguilles de Bavella, le Monte Incudine, la bergerie de Crocci, la Punta di l’Usciolu, le Monte Formicola, la Punta della Capella, le Monte Renoso… Du Sud au Nord, la traversée est fastidieuse. En passant de pozzines à pierriers, de forêts à crêtes inclinées. Le décor est sans cesse changeant, il se fait plus féroce et inquiétant une fois passée la vallée de Vizzavona, considérée comme étant la frontière entre le Sud et le Nord du GR. Les montagnes se font alors plus hautes, plus nombreuses. Pourtant la chaleur persiste, même à 2.300 mètres d’altitude. Le Monte d’Oro, le Monte Rotondo, la Bocca di Muzzella, la brèche de Capitellu, le Monte Cinto; autant de noms qui accompagnent notre marche comme une mélodie rocailleuse et enchanteresse. Et finalement c’est la mer qui nous recueille, après plus de 180 kilomètres avalés, elle nous tend ses bras protecteurs. Nous en sommes parties et nous y revenons en nous retournons une dernière fois pour contempler d’en bas le chemin parcouru. Nos regards se croisent et le silence parle de lui même… J’ai déjà envie de remonter. Mais un peu de repos d’abord, bien mérité et non sans une pointe de fierté.

Et c’est ainsi que nous sommes rentrées, un peu différentes, surtout grandies. Et après ? Que faire de cette aventure hors du temps et de nos vies compulsives et matérialisées ? Je n’ai pas encore de réponse. Mais j’espère la trouver un jour, pas après pas, sentier après sentier, sommet après sommet. Prochain périple ? La traversée de l’île de la Réunion. En attendant je me nourris de ce qui m’entoure, l’appel de là-haut est trop fort pour y résister. Il suffit d’une paire de chaussures et d’un peu de volonté pour espérer apercevoir une faune bien cachée et une flore protégée. Il suffit de s’éprendre de la simplicité pour effleurer les cols et les surmonter.

NoAn.

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