Faut-il mieux croire en l’humanité ?

Beethoven devient mots sous la plume d’André Gide. Ce prix Nobel de littérature situe l’histoire de La symphonie pastorale à la Brévine. Un pasteur recueille une orpheline aveugle et affronte l’opposition entre la morale religieuse et les sentiments. Un livre qui attise nos braises humaines.

La mendicité augmente tandis que la charité disparaît dans nos rues. Les mendiants deviennent plus nombreux alors que les âmes charitables diminuent probablement par méfiance de l’autre. Non seulement la peur prend le dessus du partage mais elle rend aussi aveugle les flammes d’humanité encore scintillantes à l’intérieur de certains êtres humains.

Ces quelques mots paraissent peut-être exagérés. Et pourtant il suffit d’observer trois minutes une place publique pour constater que les gens ne font que passer, s’évitent souvent et n’écoutent ni le musicien de rue près de la librairie ni la femme mendiant à l’arrêt de bus et encore moins les autres personnes des alentours. Ils vont seulement en oubliant de lever la tête pour mieux respirer.

Cette ignorance quotidienne de certains passants n’est ni bonne ni mauvaise. Elle est sans doute le résultat logique de notre tendance naturelle à vouloir protéger ce que nous avons de plus précieux. Au risque de se renfermer sur soi-même. Mais elle devient bancale lorsqu’il est question d’aider l’autre et d’apporter un éclat de sourire au marasme ambiant.

L’idée de devoir être vu par elle, qui jusqu’alors m’aimait sans me voir – cette idée me cause une gêne intolérable. Va-t-elle me reconnaître ? Pour la première fois de ma vie j’interroge anxieusement les miroirs. Si je sens son regard moins indulgent que n’était son cœur, et moins aimant, que deviendrai-je ? Seigneur, il m’apparaît parfois que j’ai besoin de son amour pour vous aimer.

La confusion règne dans les deux cahiers de La symphonie pastorale. Un pasteur entre en conflit avec sa foi et un acte de charité suffit pour chambouler toute sa morale. L’amour et le partage émanent des mots mélodiques d’André Guide. La musique n’est plus une symphonie où harmonisent des instruments, non ! la musique de l’amour devient le chef d’orchestre de la vie d’un homme d’Église.

Gertrude, orpheline aveugle, est accueillie par un pasteur. Ce dernier s’engage d’abord à faire l’éducation de la jeune fille et puis les premières jalousies naissent à l’intérieur de sa famille. Ses enfants se plaignent de l’attention grandissante de leur père pour l’inconnue. Les conflits deviennent à la fois familiaux et intérieurs. Ce qui fait d’ailleurs écho à la fureur parfois fulgurante des compositions de Beethoven.

Au fil des pages, l’affrontement se transforme par conséquent en un véritable défi lancé à Dieu. Le respect de la morale propre au statut de pasteur entre en conflit avec les sentiments humains qu’il découvre progressivement sans qu’il ne trouve jamais un équilibre entre les deux aspirations.

La symphonie pastorale n’est ni un éloge de la religion ni un texte profane. Mais ce texte écrit en 1919 exprime assurément la charité au sens de l’amour du prochain. Le roman puise dès lors toute sa force dans la recherche de l’harmonie malgré le conflit intime. Il donne à réfléchir. Il ne fait qu’une chose : rallumer le feu de notre humanité. C’est ce que parvient à réaliser André Gide.

André Gide, La symphonie patorale, Editions Gallimard, Folio, 1925

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