Pär Lagerkvist – « L’Exil de la Terre »

Il n’y a qu’une voie ferrée traversant la campagne bernoise et terminant dans le vent d’une ferme scandinave. La route est moins longue que l’on croit. Et le voyage réserve des surprises et une grande désillusion dans le cas de « L’Exil de la Terre » de Pär Lagerkvist.

Photo : Alexandre Wälti

Il n’existe plus de véritable maison de gare. Il suffit de prendre le train de Neuchâtel à Berne pour le constater. Alors pourquoi ne pas plonger dans un livre où une famille vit au-dessus des locomotives ? Où les enfants regardent avec attention leur père manœuvrer. Où ils aperçoivent un wagon bruyant par la fenêtre et imaginent à quoi pourraient ressembler les terres lointaines. Ils rêvent d’exil. Là où la vie possède plusieurs voies et de nombreuses destinations.

Voilà une excellente idée ! Raviver une mémoire oubliée, un passé disparu. Ou simplement se donner le plaisir de songer au chef de gare déblayant les quais en hiver. À l’époque où il portait encore le chapeau carré et fumait la pipe. Le goût de cette nostalgie surgit discrètement au milieu des brumes du plateau avant l’arrivée dans la capitale suisse. Comme un fantôme qui veillerait sur les passagers. Comme une apparition anachronique dans laquelle les personnes discuteraient en gare. Comme un veilleur occupé nuit et jour à prendre soin de sa famille.

Le chef de gare serait Anders, le narrateur. Un enfant comme un autre qui vivrait dans une famille suédoise sans histoire. Le rez-de-chaussée de la maison serait un bar où patientent les voyageurs. L’exil serait vers la campagne. Les rails s’organiseraient sous la plume de l’écrivain Pär Lagerkvist. Ces suppositions deviennent réalité dans « L’Exil de la Terre ».

Mais voici que la vie s’est retirée des choses – elles sont devenues étranges. Le monde s’est, comment dire, oublié, il a perdu la mémoire de lui-même. C’est une impression qui flotte autour des maisons au-dessus de la gare, autour de chaque chose. Tout semble arrêté, vidé, autour d’Anders.

Le romancier nobélisé décrit un ménage banal. Il assume le caractère autobiographique de « L’Exil de la Terre ». Ce livre apparaît ainsi comme une chose figée dans un autre temps. Mais Anders grandit et voit la vie prendre des directions dont il ne soupçonne pas la gravité. Pär Lagerkvist n’utilise jamais des mots trop pesants ni éprouvants pour évoquer les épisodes parfois chamboulés de sa jeunesse. Le verbe est volatil et poétique. Et le rythme est contemplatif.

D’abord une pierre à laquelle Anders s’attache. Puis, la description d’une ferme idéalisée où la vie est pour un couple de fermiers scandinaves, les grands-parents d’Anders. Le contraste est saisissant entre la suie de la gare et le soleil de la ferme. Deux mondes qui s’opposent avant de se rassembler dans un rebondissement humain et terrible à la fois. L’existence prend dès lors un virage moins léger et plus responsable. Car une maladie s’invite dans le roman et chamboule le quotidien insouciant d’Anders.

Il y a encore le culte vouer à la lecture de la bible. Cet instant si sérieux qui inquiète parfois Anders et qu’il ne comprend pas toujours. Sans oublier l’amour d’une femme pour une autre plus vieille. Les relations se font, s’interrompent et se refont. L’affection lie éternellement les personnages malgré la disparition d’un être précieux. Les scènes touchent souvent par leur délicatesse sans perdre le fil des événements moins joyeux de l’adolescence. La complicité entre un père et son fils joue un rôle important.

Pär Lagerkvist remet la maison de gare au milieu du village. Il se concentre sur les étapes importantes de sa jeunesse pour retrouver les plaisirs et les blessures de cette période parfois idéalisée et toujours marquante pour l’identité d’un homme. Son écriture saisit la fragilité d’un brin de foin en été et l’oppose à la dureté d’un orage scandinave en hiver. Les éléments se déchaînent au moment où le récit s’engage sur une voie sans issue. La maladie qui tue. La maladie qui révèle. La maladie qui blesse et fait grandir.

Pär Lagerkvist, L’Exil de la terre, Stock, 1977

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