«Bukowski, ta gueule, tu nous enquiquines!» C’est une phrase de François Cavanna, écrivain disparu et éternel capitaine de satire à Chalie Hebdo, prononcé dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot en 1978. On retrouve ce franc parlé dans son livre Les Ritals. En Amérique, la franchise ne va pas toujours de pair avec la satire. Mais elle se trouve assurément dans Bandini de l’écrivain italo-américain John Fante.
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Bandini n’est jamais plus dans l’actualité que depuis les votations du 9 février 2014. Ce livre ne contient ni propos politique ni engagement quelconque et ne doit pas être lu de cette manière. Ainsi, le quotidien de la famille Bandini, que John Fante met en scène dans le roman, ressemble peut-être de près à la réalité quotidienne d’immigrés. De quoi réfléchir. Penser un peu plus. Cependant, rappelons que le livre est sorti en 1939. C’est alors un autre contexte, incomparable, qui domine.
Cessons de patauger autour du livre pour nous y plonger franchement. Parce que le roman tient en haleine du début à la fin. Nous y découvrons le rêve américain et les difficultés qu’il pose. Svevo Bandini, un père de famille émigré des Abruzzes, maçon, est un homme froid. Il se bat pour nourrir sa famille mais il faut bien payer l’hypothèque de la maison et soigner les enfants souvent malades en hiver.
Le roman provoque une tension continuelle. Peu à peu, Svevo Bandini semble perdre la tête. Il ne fait que travailler sans pour autant pouvoir vivre convenablement et sans se soucier du mois suivant. C’est un combat constant avec la réalité de l’émigration. C’est une bataille contre soi-même. C’est un affrontement à l’intérieur de la famille qui menace de l’exploser. Sa femme, bonne croyante, l’accuse même de la tromper avec une femme riche chez laquelle il refait une cheminée. Elle lui reproche d’y passer trop de temps. Le travail empiète sur la vie sentimentale. Les enfants se plaignent des traitements qu’ils subissent à l’école. Et les tentations de l’argent facile menacent. Sans oublier les remarques parfois déplacées des voisins.
Le livre ne respire donc pas l’humour. Mais John Fante utilise l’ironie pour dédramatiser la situation de Svevo Bandini. C’est une arme redoutable pour combattre le quotidien laborieux de toute la famille. Cet immigré, dont la seule religion est le travail, rappelle donc de nombreuses histoires actuelles.
De quoi même retourner Bukowski dans sa tombe. Ce dernier admirait particulièrement John Fante. Et lorsqu’il ne marmonnait pas dans son alcool alors il savait écrire et aussi repérer le talent. Même François Cavanna, en véritable amoureux de littérature, serait probablement d’accord. Il redirigerait peut-être sa phrase vers certains politiciens, enquiquineurs et agitateurs, qui n’ont pas vécu de migration vers une terre nouvelle et une réalité inconnue.
A.W.
John Fante, Bandini, 10/18, Domaine étranger, 2002