La claque et la fessée, des espèces en voie d’extinctions?

Peut-être est-ce parent le plus vieux métier du monde ? Cette noble profession qui permet de rendre rosées et engourdies les joues et les fesses des enfants. Oui, mais jusqu’à quand? Photo : web

On entend souvent «Une bonne gifle n’a jamais fait de mal à personne.» Pourtant, cette pratique dite «éducative» est aujourd’hui plus que remise en question par les spécialistes et une partie des familles. Retour sur ce sujet qui divise, avec deux professionnels du droit, mais surtout et avant tout, deux parents. 

En 1979, la Suède a mis en place une loi interdisant la punition corporelle dans l’éducation. Par la suite, 22 pays européens ont suivi le modèle scandinave. Cette condamnation des châtiments physiques suit les recommandations des conventions de l’ONU et du conseil de l’Europe qui luttent depuis plusieurs années pour  les bannir. En Suisse, aucune loi interdisant la claque ou la fessée n’a été promulguée. Pourtant, il y a déjà eu des initiatives dans ce sens en 1996 et en 2006, mais dans les deux cas, les législateurs ont jugé que la base légale actuelle était suffisante. C’est un avis que partage madame Suzette Sandoz, professeure de droit à l’université de Lausanne et ancienne députée libérale au Conseil national. «Je pense que ce serait totalement erroné de mettre un article de ce genre dans le Code civil ou dans le Code pénal. Comme disait un psychiatre1, la fessée c’est l’électrochoc du pauvre. On constate d’ailleurs avec intérêt que l’on condamne les violences entre conjoints, mais que ça n’a pas fait diminuer celle-ci. Il y a simplement un manque de bon sens; on a dans le code l’interdiction du séquestre, malgré cela personne ne va trouver scandaleux qu’un parent dise à son enfant d’aller se calmer dans sa chambre et d’y rester tranquille.» Pour monsieur André Kuhn, professeur de droit pénal et de criminologie à l’université de Lausanne et de Neuchâtel, une loi supplémentaire n’est pas forcément nécessaire, il faut simplement mieux utiliser celles qui existent. «La baffe et la fessée sont des voies de fait2, c’est interdit. Pourtant, la loi n’est pas appliquée, on justifie cela au profit de l’éducation. La jurisprudence devrait faire un pas de plus, et déterminer que l’on n’a plus le droit de frapper.»

Depuis plusieurs années, la plupart des spécialistes prônent un apprentissage sans violence, basée sur la discussion et la médiation. Les parents essayent d’être beaucoup plus à l’écoute de l’enfant, ils cherchent à lui montrer ce qu’ils ressentent en tant qu’adultes. Ce système rejette aussi la punition, car elle est selon eux vécue comme une humiliation pour celui qui l’a reçoit. Ils tentent de lui expliquer les conséquences de ses actes et remettent en cause ses bêtises plutôt que celui qui les a faites. Cette éducation sans sanctions physique est-elle vraiment possible? Monsieur André Kuhn qui est aussi père en est persuadé. «Oui, car je la pratique. On a passé beaucoup de temps à s’asseoir et à discuter. Il faut trouver des astuces pour expliquer pourquoi une prise électrique ou les plaques de la cuisine sont dangereuses plutôt que de simplement interdire. Pour mes fils, la pire des punitions était de devoir écouter mes théories. Donner une gifle ou taper sur les doigts ça ne sert qu’à l’autorité de l’adulte, si un parent frappe, c’est pour lui-même. Plus un enfant connaît de modes de résolution de conflit, moins il utilisera la violence.» À l’inverse, madame Suzette Sandoz qui est aussi mère et même grand-mère ne croit pas que ce système puisse fonctionner. «Il faut arrêter de faire de l’angélisme, il faut rester humain. Il est difficile de raisonner avec un enfant de 3 ou 4 ans. On peut lui dire que cet objet est fragile et qu’il ne faut pas toucher; ce n’est toutefois pas forcément suffisant. La fessée ou la petite tape sur les doigts, il la comprendra beaucoup mieux que le long discours philosophique; pas parce qu’elle fait forcément mal, mais parce qu’elle le vexe.» 

La baffe ou la fessée sont encore très présentes dans notre culture, puisque selon un sondage de l’institut allemand Forsa, la moitié des parents utilisent encore des punitions corporelles. Cependant, il y a un intérêt grandissant des gens pour un mode d’éducation plus pacifiste. Selon madame Sandoz, cela s’explique, car la société est dans une phase de déséquilibre. «Nous sommes clairement à la fin d’une époque, il y a tellement de violence et une certaine perte de sens moral. Les gens cherchent des échappatoires, on veut se refaire une virginité dans une espèce de pureté, tout simplement parce qu’on a perdu le sens moyen du bon sens et de l’équilibre, c’est une manière de se racheter.» Le Monde serait-il donc de plus en plus violent? Monsieur Kuhn prend clairement le contre-pied, pour lui c’est une évolution logique d’une civilisation qui rejette de plus en plus cette agressivité. «Le sens de l’histoire, c’est d’aller vers une société moins violente. Nos parents recevaient des coups de ceintures, nous des claques et des tirages de cheveux et les enfants d’aujourd’hui ne devraient plus recevoir de coups. Il faut sortir de ce modèle judéo-chrétien qui dit que toutes bêtises méritent châtiment!» 

L’éducation constitue les fondations de notre société. Faut-il poser les briques calmement en respectant de nouvelles techniques de construction qui amèneront peut-être un meilleur résultat? Ou faut-il continuer à bâtir selon des techniques maîtrisées, quitte à remettre parfois avec un peu de force, le mur de brique d’aplomb? Ce n’est peut-être pas les ouvriers d’aujourd’hui, mais bien ceux de demain qui auront la réponse…

MiRo

1 Jean-Baptiste Laborde (1805-1878)

2 Violence commise à l’encontre d’une autre personne

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