Ecrire pour provoquer

Intrigante et révoltée Marguerite Duras, ou plutôt Donnadieu de son vrai nom. La frontière entre son œuvre et sa personne n’existe pas. L’écriture a remplit sa vie et son plus grand roman reste son existence comme le laisse croire Écrire.

Photo : Web 

Une jeune femme écrit machinalement dans un cahier et sans interruption. Son œil semble possédé par les mots dont elle se déleste. Parfois un soupir interrompt discrètement le bourdonnement régulier du train. Alors elle n’a pu s’exprimer avec précision et tracer le mot approprié pour continuer au prochain paragraphe. Au dehors les paysages défilent sans sembler perturber la détermination qui se lit sur le visage de cette voyageuse d’autre part.

Quand les autres passagers la regardent, elle ne porte même pas une attention particulière à ce qui se passe aux alentours ; isolée. Cette étrange solitude si nécessaire à l’écriture. Lorsque seulement le cœur prend la parole. Ces moments de doute où elle tombe en hochant subrepticement la tête au moment où elle n’adhère pas à sa prose ; le perfectionnisme. Toujours seule à se battre contre ses mots. Se torturer pour trouver la bonne formulation sans tomber dans le gouffre émotionnel dont elle ne sortirait plus si aisément.

« Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. Etre sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre c’est se trouver, se retrouver, devant un livre. Une immensité vide. Un livre éventuel. Devant rien. Devant comme une écriture vivante et nue, comme terrible, terrible à surmonter. Je crois que la personne qui écrit est sans idée de livre, qu’elle a les mains vides, la tête vide, et qu’elle ne connaît de cette aventure du livre que l’écriture sèche et nue, sans avenir, sans écho, lointaine, avec ses règles d’or, élémentaires : l’orthographe, le sens. » 

C’est avec ces mots que l’écrivain et cinéaste Marguerite Duras parle notamment de l’écriture. Comme si la survie dépendait de ce que le mot dictait au vide de sa création. L’honnêteté et la franchise qui s’énervent au centre de la prose. Curieuse interprétation qui tend par un rythme saccadé, découpé, étriqué entre la tension de vivre et la névrose d’exister. Comme si l’enfant qu’elle a perdu entre 1942 et 1943 avait marqué à tout jamais l’angoisse qui règne dans l’écriture de la native du Vietnam.

Par la suite, la diplômée de philosophie n’hésite pas de rejoindre la résistance durant la seconde guerre mondiale après laquelle son mari d’alors, Robert Antelme, déporté, puis  sauvé in extremis des camps nazis, resurgit avant la prochaine bataille de Marguerite Duras. Elle est certainement portée par la perte de ce qu’une femme peut avoir de plus cher lorsqu’elle débute son nouveau combat engagé contre la guerre en Algérie. Par ailleurs, elle ne sera pas innocente non plus dans le mouvement de mai 69 puisqu’elle participa alors très activement au Comité étudiants-écrivains.

« Je le jure. Tout, je le jure. Je n’ai jamais menti dans un livre. Ni même dans ma vie. Sauf aux hommes. Jamais. Et ça parce que ma mère m’avait fait peur avec le mensonge qui tuait les enfants menteurs. »

Plus tard, en 1984, elle gagne le prix Goncourt pour son roman un brin provocateur et autobiographique : L’Amant. Elle y avoue notamment la relation qu’elle a entretenue à l’âge de seize ans avec un riche homme chinois envers et contre toutes les conventions sociales de l’époque. Dès ce moment, l’écriture de Marguerite Duras prend selons certains un virage radical. Il existe ainsi l’écrivain d’avant L’Amant et celui d’après qui tente de réinventé l’art d’écrire.

Ce qui caractérise justement Écrire, publié en 1993, puisque ce livre est au départ un film où la battante essaie de parler de l’écriture sans trop réfléchir ou intellectualiser. Mais en se fiant uniquement aux tripes et au rythme de la prose. Elle y raconte en toute franchise ce que l’acte d’écrire représente pour elle et provoque dans ses profondeurs les plus extrêmes. Ainsi, tout au long des quelques cinquante-trois pages, l’auteure divague, s’isole dans une bulle, les phrases s’enchaînent entre oralité et littérature, les mots prennent des double-sens et la parole éclate en toute liberté.

C’est cette liberté qui fait de la littérature ce qu’elle est : une arme. Marguerite Duras l’a employé en allant toujours puiser dans ses plus extrêmes retranchements. Le mot permet donc de lutter pour ce qui nous semble sensé et important. Ou alors, il offre le plaisir de regarder toujours plus loin, ailleurs, comme la jeune fille qui semble isolée dans le compartiment d’à côté où elle ne fait rien d’autre qu’écrire sans réfléchir mais en écoutant certainement le cœur et lui donnant la parole en silence.

 « Écrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. »

AW

Pour aller plus loin : Interview de Marguerite Duras dans ‘Apostrophes’ présenté par Bernard Pivot : http://youtu.be/IVqxmOHmKZo

Marguerite Duras // Écrire // Éditions Gallimard // Paris // 1993 // 124 pages

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *