Un peu de Naples

Petit tour à Naples pour découvrir Le jour avant le bonheur de Erri De Luca. Nous sommes tout juste dans l’après-guerre. Les discussions autour des parties de scopa évoquent les combats sans étouffer les mots justes et précis de Don Gaetano, le bienveillant. L’histoire d’un apprenti et de son maître capable de lire dans les pensées.

Photo : WebQuatre personnes jouent à la table d’un restaurant. Dehors, il pleut ; mais à l’intérieur le soleil brille. La serveuse amène de quoi abreuver la soif des quatre joueurs de cartes près de la vitre. Chacun sourit. L’un fait une remarque. L’autre cache ses atouts dans les mains. Ils parlent Italien mais ont commandé en Français. De quoi désorienter pour un instant la serveuse martiniquaise qui finit par revenir vers le bar après avoir amener la commande.

Ils discutent, crient, se disputent! Il y a de la vie malgré l’automne. Parfois ils se taisent et se concentrent. Alors les mines devienent sérieuses et impliquées. Ensuite l’un s’énerve alors que l’autre rigole. Deux équipes qui s’affrontent pour l’honneur, peut-être, ou le plaisir de se retrouver pour une partie de vie.  Existe-t-il encore des jeux que nous jouons avec des amis pour partager un instant ? Sans l’avoir au bout de l’écran. Entendre ses râles et ses rires tout en gardant l’opportunité de l’interrompre pour le déstabiliser.

Retrouver cet âge solitaire, penser à moi enfant qui cherchais son visage derrière les vitres, qui montais l’escalier espérant la croiser : je passai mes doigts sur la pointe de mon nez pour attraper deux larmes voleuses qui allaient s’échapper. Au cours d’une enfance, des attachements s’enracinent qui ne se détachent plus. Le soir, j’écrivis la phrase de don Gaetano : apprends à jouer avant. Avant quoi ? Si j’apprenais à jouer à la scopa, est-ce que je pourrais ensuite entendre les pensées ? Je ne pouvais pas demander, la phrase devait suffire.

Le narrateur cherche un visage dans Le jour avant le bonheur.  Il l’a vu pour la première fois au-dessus de la cour de jeu où les parties de football ne cessaient d’animer ce petit bout de Naples. Il avait grimpé pour aller chercher le ballon égarer près des toits. Evidemment il voulait impressionner les plus grands. Il n’avait peur de rien jusqu’au jour où il croisa ce regard.

C’est la fille de la vitre que le narrateur désire retrouver tout au long des lignes du livre de Erri De Luca. Il ne cesse d’y penser. Même depuis la trappe et le sous-sol remplis de livre qu’il a découvert un jour ; ce lieu de paix, d’apprentissage où un juif avait été abrité alors qu’il fuyait la guerre. Ce lieu d’histoires dans lequel l’enfant cachait ses plus intimes secrets comme dans un galetas de l’âme. Où il tentait de comprendre l’existence.

Heureusement que Don Gaetano apprendra tout à l’orphelin autour de la scopa, jeu de cartes typiquement italien, surtout la vie. Le jeune homme grandit et continue à écouter ce qui se dit tout en posant des questions pour voir plus clair dans son quotidien. Il a aussi l’espoir de battre un jour son compagnon de jeu. Il interroge et s’y confesse en ouvrant dès lors plusieurs niveaux de lecture. Il s’y souvient aussi de moment qui l’ont marqué.

Il y découvre notamment l’activité de son père dont il n’avait jamais entendu parler. Il écoute également les récits de la guerre et découvre ce qu’il deviendra. La partie de scopa comme un moment de discussion important pendant lequel le lecteur devine peu à peu le changement en marche dans la tête du narrateur. Cette situation dans laquelle les problèmes se règlent. Vous l’aurez compris, le récit raconte le passage de l’enfance à l’âge adulte.

Ainsi, Erri De Luca ne se limite pas à une succession de dialogues lors des parties de scopa. Elles ne sont jamais ennuyantes. Au contraire elles servent même de repère à l’évolution du récit. L’auteur utilise plutôt la relation maître-apprenti comme un moyen de faire évoluer et grandir son narrateur principal. Le lecteur y découvre peu à peu comment la narration change de direction et où l’esprit confus du narrateur s’aventurera pour se fixer.

Les parties de cartes ne sont donc qu’un moment d’échange autour duquel se racontent des histoires. Y trouve-t-on le bonheur ? Peut-être.

Erri De Luca // Le jour avant le bonheur // Collection Folio // Edition Gallimard // Paris // 2010 // 158 pages.

A.W. 

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