La Russie, un modèle à suivre?

La Russie, pays ennemi ou modèle à suivre ? Difficile d’y voir clair tant nos médias occidentaux sont partiaux. Eva Zaki, amoureuse de la Russie, nous éclaire sur les réalités de ce pays tant décrié.

Photo : www.rts.chLe Président Vladimir Poutine a fière allure, son pays connaît peu la crise, le chômage et l’endettement sont en baisse. Une conjoncture qui n’a donc rien à envier à nos sociétés occidentales. Et pourtant, nos médias dépeignent une réalité russe bien moins réjouissante. Poutine est devenu, avec le temps et à force de propagandes hostiles, l’un des piliers de l’axe du mal. Eva Zaki, conseillère financière et spécialiste de la Russie nous brosse le portrait d’une Russie bien réelle et bien lointaine des fantasmes de notre Occident autoproclamé maître et modèle du monde.

Larticle.ch : Quels liens entretenez-vous avec la Russie ?

Eva Zaki :  J’ai commencé des cours du soir de russe lorsque j’avais 17 ans : c’était en 1990, l’URSS était en dissolution. Avec 3 amies nous étions curieuses d’apprendre cette langue: on ne savait rien des russes à part leurs auteurs, compositeurs et championnes de gymnastique ! J’ai appris le russe à la faculté des Lettres de Genève et passé un premier séjour à l’Université de Moscou en 1993. C’était incroyable, il n’y avait presque pas de magasins d’alimentation, la mafia réglait les prix sur les marchés à coups de feu et 150 personnes faisaient la queue devant le premier Mc Donald’s…les 20 années qui ont suivi, je suis retournée en Russie plus de 45 fois, en vacances, par amour pour ce pays mais aussi pour le travail (j’étais gestionnaire à la banque pour la clientèle russe).

L.ch : Comment voyez-vous l’évolution générale de la Russie depuis la chute de l’URSS ?

E.Z : Les premières années sont caractérisées par un chaos total : vide législatif, corruption, appauvrissement brutal des personnes âgées et des classes moyennes inférieures. En 1993, l’hyperinflation est vertigineuse (1000%) et les grand-mères vendent leur bric-à-brac dans des marchés noirs pour survivre. Le marché noir du dollar explose aussi. En 1991 le président Gorbatchev qui a parachevé ses objectifs de « glasnost » et « perestroïka » donne le relais à Boris Eltsine. Celui-ci autorise les privatisations sauvages d’entreprises pétrolières, gazières, métallurgiques et minières. C’est alors que sept jeunes banquiers, dont Mikhaïl Khodorkovski, Boris Berezovskiy, Vladimir Potanine et Mikhaïl Friedman vont s’accaparer 50% de l’économie russe pour une poignée de roubles. On les appellera plus tard les « oligarques ». Aujourd’hui, force est de constater que l’oligarchie est sous strict contrôle du nouvel État créé par Vladimir Poutine.

 L.ch : Comment la population vit-elle la présidence de Poutine, qu’a-t-il apporté de plus que son prédécesseur, Boris Eltsine ?

E.Z : La venue de Poutine peut être décrite comme un « retour vers le futur », dans le sens où ce que Poutine tente de restaurer est familier pour la plupart des Russes, puisqu’il veut restaurer la « grande Russie » à la fois impériale et soviétique. Vous pouvez trouver aujourd’hui dans les enseignes des magasins, à la fois les symboles de l’aigle bicéphale (empire russe) et du marteau et de la faucille. Poutine, ex-KGB (comité pour la sécurité de l’État) de Saint-Pétersbourg, a nommé son équipe de confiance, les « Petersbourgeois » à la tête de tous les ministères et entreprises stratégiques. Il exerce certes un contrôle renforcé sur la production pétrolière et gazière, mais il faut se souvenir qu’il est à la tête du plus grand pays du monde (en surface géographique)…

L.ch : Nous avons le sentiment qu’en Europe, la souveraineté nationale n’est qu’un lointain souvenir. Qu’en est-il de la Russie, quel contrôle, Poutine a-t-il sur les affaires de son pays ?

E.Z : Poutine a mis en place une forme d’économie de marché doublée d’un fort État central. Il y a bien un marché financier, de l’investissement étranger, la bourse (RTS et MICEX), un marché immobilier luxuriant et même spéculatif. Mais tout cela n’est pas laissé à la libre volonté des acteurs : Poutine est très protectionniste des fleurons nationaux (Gazprom, Rosneft et TNK sont étatisées). À l’époque de l’emprisonnement de Khodorkovski (25.10.2003), les médias internationaux ont crié au loup, à la dictature, mais personne n’a relevé le plus important. Khodorkovski possédait Youkos-Sibneft, la plus grande entité pétrolière russe. Il était en train de signer avec Lee Raymond (boss d’Exxon) la vente de Youkos-Sibneft pour 25 milliards de dollars à Exxon-Mobil et Chevron Texaco. Si cet accord avait été signé, la totalité du pétrole et gaz russe passait aux mains des États-Unis. En ce sens, on peut dire que Poutine a sauvé la Russie.

L.ch : Quelle est la situation économique de la Russie, en particulier son endettement ?

E.V : La dette russe est insignifiante en comparaison mondiale (10% du Produit Intérieur Brut, en comparaison avec la France : 86%, les USA : 110% et le Japon : 240%). La Russie a remboursé l’intégralité de ses dettes au FMI en 2006 et s’évertue à ne rien devoir au Club de Paris (groupe de 19 pays créanciers internationaux via leurs banques commerciales). Cette situation privilégiée donne à la Russie un énorme pouvoir de négociation sur l’échiquier mondial. On a pu voir notamment sur le dossier syrien, que le veto russe a réellement bloqué les plans américano-européens dans la région.

L.ch : Qu’en est-il du chômage ? 

E.Z : Le taux de chômage actuel en Russie est de 5.5% et continue de reculer depuis plusieurs années. Le chômage a été important durant la transition (1992-2002) et a atteint 10% alors que les privatisations massives mettaient des hordes de fonctionnaires à la rue. Notamment le chômage s’est accentué chez les jeunes femmes issues de classes moyennes inférieures. A présent, la Russie peut se vanter d’un taux de chômage extrêmement bas en comparaison européenne (12.5%) et américaine (7.5% sans compter les non-inscrits).

 L.ch : Pourquoi avons-nous, en Occident, une si mauvaise image de la Russie ?

E.Z : La propagande médiatique des années de guerre froide a la vie dure. Plus dangereux que « le rideau de fer » est le rideau de l’imagerie médiatique négative qui maintient une population dans un préjugé ancré vis-à-vis de cet Autre, qui est en réalité inconnu. L’URSS était une puissance concurrente à la grande Amérique, dont la force militaire a englobé « l’Occident avancé », c’est à dire en somme le Canada et l’Europe, dont la Suisse fait partie. Notre conception en tant que Suisses de l’ex-URSS est celle d’un système dictatorial ravageur, corrompu et en retard sur nous technologiquement et militairement. Peu de médias (ceux de gauche évidemment) vantaient l’immense richesse culturelle et artistique de l’URSS, le perfectionnisme pédagogique et la résilience d’un système économique qui n’était pas en totalité infiltré par la marchandisation, comme l’est notre espace économique.

L.ch : Qui a intérêt à ce que l’opinion publique soit hostile à la Russie et pourquoi ?

E.Z : Nous vivions, durant la Guerre Froide, dans un monde bipolaire, voire multipolaire car il y avait l’Axe des Non-Alignés pour faire contrepoids à l’OTAN. L’Alliance atlantique, ou les « Atlantistes » voient dans la Russie l’ennemi à combattre et aussi à conquérir : cet Occident croulant sous l’endettement public, assoiffé de ressources naturelles, convoite l’immensité de la richesse russe, des sous-sols regorgeant d’hydrocarbures et de minerais. Afin de justifier des guerres de conquête, il faut présenter la Russie comme un système menaçant, comme un ennemi, et Poutine comme un abominable dictateur. Mais une guerre contre la Russie demande aujourd’hui des ressources financières qui manquent cruellement à l’OTAN, qui de plus est divisé par ses intérêts stratégiques (l’Allemagne dépend du gaz russe et pour cette raison ne peut pas prendre des positions ouvertement hostiles à la Russie).

L.ch : Sur le conflit Syrien, la Russie semble vouloir favoriser le dialogue, à l’instar de la France ou des États-Unis, qui eux privilégient la violence. Pourquoi les médias présentent-ils Poutine comme un homme dangereux ? N’y a-t-il pas là une contradiction ?

E.Z : Au grand dam des médias européens, la propagande ne fonctionne plus comme avant, car les médias d’une partie de l’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie, présentent une autre réalité sur le terrain. Le public peut donc voir clairement qu’il y a 2 présentations de la réalité. Poutine a mis en place des mesures guerrières dès que les USA ont déployé un bouclier anti-missile en Pologne. Il a déclaré à la presse: « on peut dire ce qu’on veut sur l’OTAN comme une force politique qui veut « intégrer » l’Europe : pour moi l’OTAN est une alliance militaire, et lorsqu’une telle alliance vient à mes portes, je l’arrête ».

L.ch : Quel regard portent les russes sur l’Occident ?

E.Z : Les Russes ont beaucoup d’illusions sur l’Occident. Ils y voient un lieu où il y a plus de liberté (ce qui peut être vrai), et de ressources (ce qui est faux). Ils croient encore à l’Occident des années 1970, le boom de l’après guerre et les Trente Glorieuses. Ils ne comprennent pas que les ressources sont chez eux, que l’endettement n’est pas chez eux et qu’il faut à présent relever la tête fièrement.

L.ch : Poutine a récemment promulgué une loi punissant tout acte de propagande homosexuel. Comment la population a-t-elle accueillit cette loi ?

E.Z : Il y a une nette différence entre l’accueil de cette loi par la population (qui la trouve largement « normale », et on ne peut pas dire qu’elle déchaîne les passions), et l’accueil fait, à nouveau, par les médias. Le but des médias est de montrer que Poutine est un affreux dictateur qui veut priver les homosexuels de leurs droit. Et surtout, que ceci constitue une raison pour boycotter les Jeux Olympiques de Sotchi 2014. Cela fait penser à l’affaire « Pussy Riot » : sur place très peu de gens en parlent, ils trouvent normal qu’on empêche des jeunes punks de dire des insanités contre l’Église DANS une église. Mais les médias se sont emparés de cette affaire avec une amplitude gigantesque. Et ce, pour montrer à quel point Poutine est un homme cruel et vindicatif. Ce que Poutine a pris avec un certain humour. Il a déclaré à la presse: « Laissez-nous tranquille ». Est-ce que je me mêle, moi des affaires internes françaises et anglaises »?

L.ch  : Au final, la Russie est-elle un modèle à suivre pour l’Occident ?

E.Z : Il y a beaucoup de choses intéressantes à prendre dans le modèle russe: l’Occident s’est lancé dans une déréglementation effrénée depuis 40 ans (les années Reagan-Thatcher). Il fallait absolument enlever « tout obstacle au commerce », à la globalisation. Et par là-même, on a enlevé tout obstacle aux abus et au crime financier. On considère le « protectionnisme » comme un gros mot : vous n’avez pas le droit de protéger votre production nationale contre les prédateurs financiers étrangers. Vous devez être en tout temps grand ouvert aux multinationales qui envahissent votre territoire, tuant le commerce local, pour exploiter des ressources bon marché, et rapatrier les profits chez elles, ou mieux, dans les paradis fiscaux. Si vous ne faites pas ça, vous ne jouez pas le jeu de l’OMC, du commerce mondial. Si vous n’abandonnez pas les lois au Marché, les autres pays vous font la guerre commerciale. Mais la Russie n’a pas abandonné ses ressources au Marché et tente de préserver (autant que possible) sa souveraineté. Là-dessus, l’Occident à beaucoup apprendre de la Russie.

JonN

Discours de Vladimir Poutine après sa victoire aux élections présidentielles de 2012 : [youtube]http://www.youtube.com/watch?v=1eUL39cbgmM[/youtube]

4 réponses sur « La Russie, un modèle à suivre? »

  1. Eva Zaki est une femme qui dispose visiblement de capacités d’une amplitude peu commune… Allez voir ses analyses économiques sur Youtube (en anglais, s’il vous plaît), ça sort un peu des berceuses habituelles!

  2. Bravo ! Je trouve cet écrit objectif, je connais aussi la Russie , et je vois à quel point ce pays à changé et est devenu réellement un grand pays capable et j’en félicite le président Poutine, de faire contre poids à l’égémonie des États Unis
    A laquelle la Suisse se plie sans raisons .Poutine n’est pas un dictateur mais un Président fort qui donne une fierté au Russes et montre qu’il y a quel un de raisonnable au niveau politique mondial pour résoudre des conflits, je pense à la Syrie, et éviter que des hordes de voyous sous couvert d’une religion, massacrent les minorités d’un pays et cela au nom de dieu.
    Cet interview remet les choses dans leur réelle perspectives

  3. Il ne faut pas idéaliser la Russie biensur. Partout le jeu politique est le même et compote son lot de manipulation…

  4. Je connais bien la Russie au niveau politique. J’ai des informations sur leurs pratiques « à l’Américaine » de leur gestion internet des problèmes: fausse opposition financée par le Pouvoir. A la fin, la forme change, mais dans le fond, on reste soumis à l’internationale Judéo-maçonnique (protestantisme inclus).

    Reste, qu’au moins, en Russie, on ne se contente pas de politiciens efféminés à grosses têtes, mais on veut garder l’image d’un homme fort, viril ; ce qui contraste avec notre acceptation de la repentance, de la mollesse, de notre décomposition lente propre, signe clair d’une décadence consentie.

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