De correspondances en correspondances, la vie défile. Fraternité Secrète compile les échanges épistolaires entre Jacques Chessex et Jerôme Garcin. Cet ouvrage renseigne sur l’amitié qui naît par admiration. Il illustre les coulisses de la critique littéraire et de l’édition sur une période de 34 ans. Mais il fait surtout s’écouter deux écrivains, vivre deux frères de mots. Photo : webC’est en lisant ces correspondances que j’ai repensé à la confession d’un ami. Il me disait que les paroles existaient pour être échangées. C’est fou comme la naïveté donne toujours une impulsion juste, pure et innocente. Cette remarque prononcé un soir d’été avait dès lors soulevé un point d’interrogation dans ma tête. Pourquoi cette phrase si simple révélait tant de vérités ?
Il est vrai que les mots déchargés auprès d’une oreille attentive soulagent, rendent les journées plus légères. Mais ils remettent aussi en question l’ordre établi. L’ami me racontait encore qu’il ne pouvait pas s’empêcher de tout raconter à sa mère et à sa soeur. Par souci d’honnêteté. Par devoir de transparence. Par mémoire d’un père mort trop tôt et trop brutalement.
Il me parlait de ces deux femmes avec tellement d’admiration. Deux personnes à qui il doit sa vie et sa renaissance professionnelle. Ce qui n’est pas simple lorsqu’on perd un père dans un suicide.
Deux destins, une même tragédie
Jacques Chessex connaît un événement identique. Son père se donne la mort en avril 1956 alors que l’écrivain vaudois avait vingt-deux ans. Et le père de Jérôme Garcin est mort en 1973 alors que son fils n’avait que dix-sept ans et demi. Fraternité Secrète m’a évoqué cette discussion avec mon ami et concentre le poids d’une telle disparition.
Deux sensibilités littéraires s’y côtoient avec une admiration réciproque tout au long de la correspondance. Deux destins qui ont vécu des événements semblables. Les mots sont amicaux, fraternels. La longueur des échanges varie en fonction des événements de la vie. La littérature suisse d’expression française y côtoie Paris. C’est Philippe Garcin, père de Jérôme, qui a fait se rencontrer les deux auteurs. Puisqu’il possédait un livre de Jacques Chessex sur lequel son fils est tombé par hasard. De là, l’histoire s’écrit au bout de deux plumes qui deviennent des frères. Le ton est plus que chaleureux. Il réchauffe au temps où l’égoïsme prend souvent le dessus sur le don de soi.
Jacques Chessex et Jérôme Garcin se découvrent amis intimes, frères secrets. Ils échangent des lettres toujours sincères et pleines d’enthousiasme. Notamment concernant des projets qu’ils souhaitent réaliser ensemble. Nous y apprenons le rôle que Jérôme a joué pour faire connaître Jacques en France et inversement. Jérôme admire avant tout la poésie de Jacques. Il le pousse à écrire toujours plus de vers.
« Je suis entré en écriture », confesse Jacques avant de se lancer dans un nouveau roman. Il envoie souvent des textes à Jérôme pour qu’il apporte ses éclairages de critique littéraire. Jacques présente des éditeurs à son ami français en vue de la publication de Jérôme en Suisse. Ils échangent les blessures laissés par les pères morts trop vite mais il partagent également la joie de la paternité.
Le poids du passé
Au fil de la correspondance débutée en 1975, les deux hommes se déchargent de ces morts si pesants. Ils s’allègent alors que les années avancent. Les nouvelles rencontres tant littéraires qu’humaines essaiment encore la correspondance autant par petits mots affectifs que par longues lettres. Mais elle éclaire surtout sur la manière de s’alléger du poids du passé.
De quoi donner des pistes à mon ami. D’ailleurs, c’est lui qui lit le livre en ce moment !
AW
Fraternité secrète. Correspondance 1975-2009. Edition : Grasset, janvier 2012