Véritables tableaux, Rolex aux prix imbattables, sacs Vuitton vendus au noir… Nous sommes aujourd’hui envahis par les contrefaçons. Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau. Nous nous sommes entretenus avec Marc-Antoine Kaeser, directeur du Laténium et de son exposition temporelle, « L’Âge du faux ».
Larticle.ch : Comment définiriez-vous le faux?
Marc-Antoine Kaeser : C’est en quelque sorte l’objectif de l’exposition. On ne peut pas trouver de définition précise du faux car il n’y a pas d’objectivité absolue. C’est plutôt une question de point de vue et de culture. Tout dépend du contexte, du rapport au vrai et de ce qu’on cherche à montrer à travers le faux.
L.ch : Comment distinguer le faux du vrai?
M.-A. K. : Il y a plusieurs aspects. Certains objets sont faits dans le but principal de tromper les autres ; de leur faire croire que ce qu’ils voient est vrai. Dans ces cas-là, il est évident que l’objet est faux. Mais c’est souvent beaucoup plus complexe car on joue énormément sur les références. Par exemple, en achetant un sac Louis Vuitton, la plupart des gens sauront tout de suite que c’est un faux. C’est une sorte de jeu en quelque sorte. On ne veut pas abuser les autres, mais on leur montre que même si nous n’avons pas les moyens de s’en acheter un vrai, on a tout de même bon goût. À l’époque romaine, on imitait des céramiques importées d’une grande valeur. On remarquait tout de suite la contrefaçon, cela montrait que nous avions des goûts luxueux et distingués.
L.ch : Quelles méthodes utilisez-vous pour arriver à définir le faux du vrai?
M.-A. K. : Une des méthodes les plus répandues est d’essayer de comprendre le processus de production. On se fie par exemple aux tendances culturelles. Nous savons que certains objets étaient rares et précieux. Or, on a parfois trouvé une soudaine production locale massive de ces objets. Cela soulève tout de suite des doutes et la plupart du temps, on constate que ce ne sont que des reproductions. L’analyse de la matière première révèle aussi beaucoup de choses. La céramique par exemple est une matière que l’on trouve partout. Donc même si l’objet imité ressemble parfaitement au premier, il n’est pas fabriqué avec la même matière.
L.ch : Quelles sont les grandes affaires sur le faux qui ont fait scandale?
M.-A. K. : Bien souvent, les fausses trouvailles ont permis de soutenir une théorie, il y avait un intérêt à ce que ces fausses pièces soient vues comme des vraies. Il y a par exemple l’affaire de Moulin-Quignon. En 1863, les préhistoriens viennent d’admettre qu’il y a une humanité beaucoup plus ancienne que ce que l’on croyait. Ce constat est fait après avoir trouvé des outils en silex datant d’une époque antérieure à celle que l’on voyait alors comme le début de l’humanité. Cependant, il manquait une preuve importante : des ossements humains. Quelques employés cherchant ceux-ci sont donc allés déterrer une mâchoire pour la cacher dans les couches qu’ils étaient entrain de fouiller. Le lendemain, l’un des ouvriers a trouvé cette mâchoire pour la montrer à un archéologue. Celui-ci pensa qu’elle est authentique puisqu’elle était retrouvée dans des couches terrestres très anciennes. La mâchoire fût analysée bien plus tard et on aperçut qu’elle n’avait pas plus d’une cinquantaine d’année.
En 1880, un antiquaire neuchâtelois fabriquait des faux objets en os et en bois. Ils trouvaient ces matières sur les stations lacustres. Des employés les sculptaient et les vendaient ensuite tout en soutenant qu’ils les avaient trouvés ainsi. Durant cette période évolutionniste, on pensait que le progrès humain avait été constant et régulier. Or, il manquait un chaînon entre l’Âge de la pierre et du bronze. Avec ces pièces, un nouvel Âge apparaissait : celui de la corne. Ainsi, les faits archéologiques arrêtaient de contredire l’évolutionnisme qui ne pouvait accepter le saut entre les deux âges. Personne n’a cherché à analyser ces pièces, bien trop contents d’avoir trouvé le chaînon manquant.
L.ch : Comment qualifier un objet de faux ou de vrai? Qu’est-ce qui le définit comment étant authentique ou non?
M.-A. K. : C’est ce que l’exposition tente de montrer. Les limites entre l’un et l’autre sont bien souvent floues. On peut constater que c’est la plupart du temps une question de pouvoir. Même si quelqu’un arrivait à reproduire une copie conforme d’un billet de 100CHF, celui-ci resterait faux car seule la Banque Nationale Suisse a l’autorité de les créer. Tout le reste est illégitime. On remarque ainsi que ce qui fait qu’un objet est vrai et non un autre est une question culturelle. C’est nous qui accordons du prestige et de la valeur à celui-ci plutôt que celui-là.
Propos recueillis par Alexandra Dall’Omo
Pour plus d’informations sur l’exposition « L’Âge du faux » : www.laténium.ch