Les suisses s’indignent
Du printemps arabe aux manifestations des indignés en passant par les émeutes criminelles de Londres, l’année 2011 a été un millésime à la fois savoureux et amer d’union et de rébellion. Qu’elle soit opposée à un dictateur ou à un système économique, qu’elle soit armée ou pacifiste, nationale ou universelle, l’union peut faire une différence. Elle peut avoir des impacts très concrets, comme la mise en place d’un nouveau gouvernement en Egypte ou en Tunisie, mais peut surtout être le moteur d’une prise de conscience. Le mouvement des « indignerons » espagnols l’a prouvé en aboutissant à un phénomène international avec comme point d’orgue la journée du 15 octobre 2011 qui a réuni 81 pays et plus de 900 villes.
En Suisse, le mouvement du 15 octobre a été suivi à Zurich et à Genève. Ces mouvements d’indignés suisses récemment médiatisés existent pourtant depuis bien plus longtemps. Au mois de juin déjà, des indignés ont commencé à se rassembler sur internet et ont organisé quelques assemblées et mobilisations. N’étant pas assez nombreux, les mouvements se sont essoufflés pendant l’été. C’est avec l’ascension du mouvement « Occupy Wall Street » en septembre que les mouvements suisses se sont réveillés et ont décidé de faire partie des pays participant à l’appel à la mobilisation le 15 octobre 2011.
300 manifestants à Genève
Ils étaient plus de 300 à manifester à la symbolique Place des Nations à Genève. De nombreuses personnes se sont succédé au micro devant une foule attentive et ravie de voir un si bel exemple de liberté d’expression. Qui étaient ces orateurs ? Tout simplement des gens trop souvent témoins d’injustices en Suisse et dans le monde. La diversité des manifestants était remarquable. Qu’ils soient étudiants ou mères de famille, chiliens, iraniens ou suisses, qu’ils parlent anglais, espagnol ou français, tous étaient solidaires malgré leurs différences. « C’est notre devoir de nous indigner parce que nous, on le peut. » affirme un manifestant. En effet, ils étaient beaucoup à soutenir des causes internationales et les difficultés économiques des pays tels que le Chili, l’Espagne ou la Grèce.
Si ces pays ont des problèmes concrets, il est plus difficile d’en trouver pour la Suisse qui a moins souffert de la crise. Mais « dans notre pays, il y a aussi des pauvres et ça coûte cher de vivre dans un pays riche. » rappelle un orateur. A une semaine des élections fédérales, l’importance d’aller voter a aussi été soulignée. Les changements passent par des lois et le taux d’abstentionnisme est trop élevé pour un pays qui a la chance d’être démocratique. Cependant, le mouvement se dit apolitique. Et « si les partis politiques veulent soutenir le mouvement, qu’ils le soutiennent mais qu’ils ne se le réapproprient pas » déclare un indigné de la première heure. Puis il ajoute qu’il est « important de voter contre l’UDC, mais surtout de voter pour des valeurs que défendent les partis». Être apolitique et demander à voter contre un parti est tout de même contradictoire.
Des thèmes très variés ont été abordés mais l’ennemi commun des indignés reste le système capitaliste actuel. « The global economy is about to crash » chante un indigné sur un air reggae fédérateur. « Il faut placer l’homme avant la finance » déclare un jeune étudiant alors qu’une retraitée rappelle qu’il ne suffit pas de supprimer le système actuel, il faut « trouver avec quoi le remplacer ». C’est bien là le problème, s’indigner c’est bien, mais encore faut-il trouver des solutions.
Une indignation disciplinée!
A 15 heures, une organisatrice met fin à la manifestation, ils n’ont pas obtenu le droit de la prolonger plus longtemps. La liberté d’expression a peut-être ses limites en Suisse… Quoi qu’il en soit, des groupes de paroles se sont réunis dont celui du mouvement des indignés de Genève. Certains se connaissaient déjà par internet et étaient ravis de pouvoir parler face à face. Les problèmes principaux de la réunion étaient de trouver des moyens de rendre le mouvement visible et trouver des buts concrets. L’idée des Systèmes d’Echange Locaux, un système local dans lequel on échange des services non pas contre de l’argent mais contre d’autres services, a séduit bon nombre d’indignés. A la fin de la journée, une décision est votée à main levée : ils camperont la nuit au parc des Bastions devant le Mur des Réformateurs. Une semaine plus tard, une trentaine de tentes sont toujours plantées et les indignés encore présents. Chaque soir se tient une assemblée générale afin d’organiser au mieux un mouvement sans hiérarchie, ni chef, ni porte-parole.
Le mouvement va-t-il durer ? Aura-t-il un impact politique ? Rien n’est moins sûr, mais après les émeutes de Zurich en septembre, il est bon de voir une rébellion pacifiste et solidaire. Et puis surtout, 3 ans après le début de la crise économique, il était temps que la Suisse s’indigne contre un système capitaliste loin d’être parfait.
SR