Ces derniers mois ont été marqués par une série de catastrophes naturelles d’une violence étonnante. Elles ont engendré des conséquences dramatiques. Mais les désastres ne seraient-ils pas également terriblement humains ?
Anne-Marie Trabichet
Les catastrophes naturelles font depuis toujours partie des événements majeurs qui ponctuent la vie terrestre et humaine. En général, qu’elles se produisent sous la forme d’inondations, de tremblements de terre, de cyclones ou encore d’incendies, elles s’accompagnent toujours de pertes humaines, mais aussi économiques, et de dégâts matériels et naturels.
L’une des caractéristiques des catastrophes naturelles, est le manque de contrôle que les hommes exercent sur elles. Même s’il est possible d’en prévoir certaines comme les séismes, ou de prendre des mesures préventives contre d’autres, tels les cyclones ou les inondations, il n’en reste pas moins que face à elles, les hommes se retrouvent, dans un certaine mesure, impuissants, et dépourvus de leur capacité à garder le contrôle de ce qui leur arrive. Les réactions humaines qu’elles engendrent sont nombreuses, mais on remarque une certaine constante au fil des événements.
Face à cette impuissance que ressentent les hommes lorsque arrive une catastrophe naturelle, il n’est pas rare de voir qu’ils essaient de reporter leur contrôle sur un problème parallèle. Quelques jours après le passage du cyclone Katrina le 29 août 2005 dans le sud-est des Etats-Unis, les secours et les opérations d’évacuation des zones sinistrées se passaient difficilement et surtout très lentement. Des milliers de personnes attendaient encore d’être secourus, et le gouvernement tardait à leur venir en aide. Au même moment, des pillards dévalisaient les maisons de la Nouvelle-Orléans. Le 1er septembre, trois cent soldats de retour d’Irak déboulaient dans les rues de la ville avec ordre de tirer et de tuer, s’il le fallait, tous les éventuels pillards. Le jour-même, alors qu’on lui reprochait déjà son inefficacité dans l’organisation des secours, le président Bush affirmait qu’il se montrerait « intraitable avec tous les pillards » et qu’on pouvait attendre de lui « la plus grande fermeté » à leur égard. A l’heure où il parlait, des milliers de personnes attendaient encore qu’on leur vienne en aide, certains entassés dans un dôme, d’autres en péril dans les eaux qui avaient envahi la ville. Les pillards de la Nouvelle Orléans étaient-ils plus important que les sinistrés ? Fallait-il faire venir des soldats pour tirer sur les gens, ou pour les secourir ? On dirait que dans le cas présent, le gouvernement américain, dépassé par l’ampleur de la catastrophe, a tenté de contrôler ce qui était en son pouvoir. Et il avait à sa disposition des soldats entraînés à la guerre, et non un plan de réaction face à une telle catastrophe.
Une autre de ces réactions terriblement humaines qu’entraîne une catastrophe naturelle, est la recherche d’un coupable. Mais le plus souvent, les incendies, les tempêtes ou encore les raz-de-marée sont le résultat de phénomènes naturels et de circonstances indépendantes de la volonté des hommes. Cependant, il est dans la nature humaine de chercher à faire endosser à quelqu’un la responsabilité des événements. Dans chaque catastrophe naturelle, on trouve un bouc émissaire. La plupart du temps, il s’agit du gouvernement du pays concerné. Après les inondations qui ont eu lieu cet été en Suisse, on a cherché très vite à dénoncer des lacunes en matière de préparation aux inondations. On s’est demandé si les autorités avaient correctement tiré des leçons des précédentes inondations, s’il n’aurait pas été judicieux de remettre en question la politique d’aménagement du territoire qui n’a pas évolué depuis les années 70, et si l’on avait pris en compte les changements climatiques et les dangers qu’ils pouvaient entraîner. Le gouvernement a bien entendu réfuté les accusations. Mais quelques jours plus tard, le conseil fédéral acceptait tout de même de se remettre en question en ce qui concerne le plan de catastrophe en cas d’inondation.
Les réactions humaines devant les catastrophes naturelles sont multiples et rarement mesurées. Ainsi, l’accusation est souvent exclusive et acharnée, et on en profite parfois pour dénoncer d’autre travers, d’autres problèmes. A la Nouvelle-Orléans, effectivement, les secours n’ont pas été efficaces, et l’aide est arrivée trop tard. Partant de ce fait, nombreux ont été ceux qui, dans la foulée, ont dénoncé une discrimination raciale dans l’évacuation. Il est vrai que les images de la ville montraient une majorité de Noirs sinistrés, attendant encore l’arrivée des secours. Mais la ville recense une forte proportion de Noirs. Souvent, cette partie de la population est plus démunie que les Blancs. Ainsi, ceux-ci ont pu fuir leurs habitations et la ville avant que le cyclone ne s’y abatte, grâce à leur voiture. Discrimination raciale ou pas, nous ne le saurons peut-être jamais, mais probablement que l’acharnement que certains ont mis à dénoncer ce problème venait en réalité de la violence de la catastrophe, et du fait que chacun, habitant, secouriste, ou membre du gouvernement, s’est senti dépassé par ce qui se passait.
Il arrive que, devant ce sentiment d’impuissance, on cherche quand même à résoudre la situation avec les moyens qu’on possède. Après le Tsunami qui a dévasté l’Asie du sud-est en décembre dernier, les opérations de secours se sont organisées très vite, et dans les tout premiers jours qui suivirent la catastrophe, des gouvernements proposaient déjà leur aide, de nombreuses ONG arrivaient sur place, et des millions de personnes faisaient des dons. On a vu alors un immense élan de compassion et de générosité soulever le monde entier. Sans parler des sommes récoltées, beaucoup de volontaires se sont envolés vers l’Asie pour venir en aide aux victimes. Dans l’urgence, des camps ont été élevés, des abris construits, et on s’est empressé d’aider les habitants à recommencer à vivre. Mais quelques mois après la catastrophe, ces abris, ces camps sont toujours là. La plupart des ONG sont parties après les avoir construits et la nourriture qui était distribuée grâce aux hélicoptères américains durant les premières semaines n’arrive plus. L’urgence a déclenché énormément de mouvements d’aide, mais plusieurs mois après, la situation n’a pas beaucoup évolué. Les habitants sont traumatisés psychologiquement, les pêcheurs se sont vus distribuer des bateaux de fortune, mais d’autres catégories de la population sont maintenant ignorées par les organismes qui restent sur place. On dirait que dans ce cas, il a été plus facile de réagir dans l’urgence, alors que le chaos régnait et que les actions se perdaient dans le tumulte, que de prendre des dispositions à long terme, de façon organisée.
Si l’on regarde l’ensemble des catastrophes naturelles, on pourrait croire qu’aucune n’a été gérée de façon juste et satisfaisante. En réalité, le caractère imprévisible, soudain et violent d’une catastrophe naturelle empêche une réaction immédiate totalement efficace, et la prise de bonnes décisions. Aujourd’hui, les hommes ont pris l’habitude de gérer leur politique, leur économie, leur vie, leur information, et même, dans une certaine mesure, leur sécurité. Le problème est que les catastrophes naturelles constituent justement un élément non contrôlable de la vie humaine. Ce sont des événements qui surviennent de façon si violente et si dévastatrice, que même les plus grandes connaissances humaines sont jusqu’à présent impuissantes à les contrôler.
Cependant, il est possible d’agir pour prévoir les conséquences que peut engendrer une catastrophe naturelle, pour préparer des plans d’action à mettre en place dans les premières heures qui suivent, pour faire de la prévention et mettre des normes de sécurités sur la construction dans des zones où il existe un risque de séisme ou d’ouragan. Malheureusement, aujourd’hui, toutes ces possibilités ne sont pas exploitées par tous les gouvernements. L’ONU, qui avait consacré la décennie de 1990 à 1999 à la prévention des catastrophes naturelles, envisage d’élaborer un traité international qui engagerait les gouvernements du monde à appliquer les solutions peu coûteuses basées sur les connaissances disponibles.
A.M.T.