Enquête

Un bras de fer est lancé entre Blocher et les droits constitutionnels. Jusqu’où ira Christoph Blocher ?

Lundi, le dix-neuf octobre 2003, l’UDC vient de remporter les élections en gagnant le plus grand nombre de suffrages. Christoph Blocher a réussi à mettre son parti à la première place. Aujourd’hui, après de nombreuses victoires, il s’attaque à la Constitution pour mieux dicter sa politique. La Suisse, va-t-elle le suivre ?

Depuis que Christoph Blocher a été élu, il est frappant de voir que peu à peu, il est en train de mettre son programme électoral en place sans grande opposition de la part des autres partis politiques. On en est arrivé au point où certains partis de droite ou du centre jouent sans grande hésitation au même jeu que l’UDC, ceci afin de gagner les électeurs les plus modérés de ce parti aux contours d’extrême droite. La gauche a du mal à entraver le chemin de Blocher. Les organisations humanitaires dénoncent certaines situations critiques de requérants d’asile, mais sans grand succès. L’UDC continue avec des discours où on a l’impression que tous les problèmes de la Suisse sont liés à l’immigration. Ce discours réductionniste sous forme de propagande continue à apporter ses fruits, car une année et demie après la victoire de l’UDC, Blocher est toujours là, plus fort que jamais.
Ce phénomène de montée du conservatisme et de la xénophobie n’est pas spécifique à la Suisse. Partout en Europe et dans le monde, les idées les plus conservatrices rejaillissent à la surface. Depuis les attentats terroristes, le monde est entré dans une phase où la méfiance règne. Beaucoup de politiciens exploitent la peur d’une population souffrant de plus en plus de la crise économique. Si le pays va mal, il faut trouver des boucs émissaires, comme le monde politique n’a rien à se reprocher au niveau de sa gestion, il est donc facile de dire que ce sont les aides financières aux étrangers et les frais causés par les requérants d’asile qui sont à la base de tout le problème économique d’un pays. En plus, s’il y a trop de chômage, c’est de nouveau l’étranger qui vole le travail à l’autochtone. Quand on pense que cette sorte d’arguments est toujours d’actualité. Mais qu’en est-il de la réalité ?
En se référant aux statistiques, tout le monde peut voir que la grande majorité des étrangers travaille honnêtement et paye ses impôts. On peut aussi calculer la participation des immigrants à l’enrichissement du pays, ceci depuis de nombreuses années. Beaucoup d’emplois laborieux et parfois même dangereux sont réalisés par des gens issus de l’immigration, comme par exemple la construction des tunnels et des routes ou d’autres tâches à haut risque dans toute sorte  d’industrie. Il ne faut pas oublier que l’immigration a toujours contribué au bon fonctionnement économique de la Suisse.

Blocher veut changer la Constitution.

Mais tous ces arguments ne suffisent pas à taire les tribuns comme Christoph Blocher. Son pragmatisme et son éloquence sont ses principaux atouts. Fort d’une longue expérience politique et entouré par ses conseillers, il a appris à connaître le fonctionnement de la machine politique de la Confédération. Aujourd’hui, il s’attaque à la Constitution, le dernier obstacle au plein pouvoir. Le 17 mars passé, il a proposé un texte de loi afin de durcir la loi sur les étrangers. Ce projet était constitué de quatre points : suppression de l’aide sociale aux requérants d’asile déboutés, deux ans de prison en cas d’insoumission face à une décision du tribunal, pas d’asile pour ceux qui n’ont pas de carte d’identité du pays d’origine et fin de nouvelles admissions d’étrangers pour des raisons humanitaires. Le lendemain, Blocher réussit à convaincre les autres conseillers et le texte est adopté. Il a de nouveau su dicter sa volonté avec une facilité terrifiante.
Le vendredi 18 mars, face à toute cette passivité, une lueur d’espoir renaît. Le Tribunal fédéral vient d’annuler la loi proposée par Blocher. En effet, cette loi va à l’encontre de l’article 12 de la Constitution, selon lequel, tout être humain a droit au minimum vital, donc personne ne peut supprimer l’aide sociale aux requérants d’asile. Christoph Blocher réagit tout de suite de façon ferme quand les médias lui demandent ses impressions : «il faut soit changer la loi, soit la constitution !» Et lorsqu’un journaliste lui demande s’il est vraiment prêt à changer la constitution, il lui répond par un «oui» très prononcé. Donc, la Suisse peut s’attendre à ce que Blocher fasse tout ce qui est possible pour arriver à ses buts.
Les étrangers ont compris que la situation ne leur est pas favorable. La banalisation d’une idéologie xénophobe et ultra conservatrice est depuis longtemps en marche. L’ambition de certains opportunistes comme Christoph Blocher est bien plus grande que la volonté de le contrecarrer. Il y a quelques mois, beaucoup de gens pensaient que c’était une bonne idée de lui donner une opportunité d’être au pouvoir. Certains pensaient qu’il n’allait pas faire long. Aujourd’hui, il est bien positionné sur l’échiquier politique suisse. Ses électeurs lui sont fidèles et de nouveaux admirateurs viennent renflouer les rangs de l’UDC. Les partis de l’opposition ne semblent pas être en mesure de le combattre efficacement. D’autres spécialistes continuent à le sous-estimer, ce qui le rend encore plus dangereux. Et si Blocher réussit à changer la Constitution, qu’en sera-t-il du respect des droits de l’homme et des acquis sociaux ?
Entre-temps, les actes racistes se multiplient. Lundi, le quatorze mars, une synagogue brûle à Lucerne. En février, à Zurich, deux africains subissent une fouille corporelle en pleine gare centrale sous les regards ignorants des passants. D’autres immigrants qui vivent et travaillent ici depuis de nombreuses années sont renvoyés dans leurs pays d’origine par train et avion, comme si tous leurs efforts d’intégration ne servaient à rien. Des gens dans la route sont interpellés pour un contrôle d’identité, seulement parce qu’ils ont une autre couleur de  peau.
Afin de lutter contre ces abus, la Suisse doit prendre conscience qu’elle est composée d’une grande partie d’immigrants et de fils d’immigrants. Ceux-ci sont venus en grande partie pour enrichir la société et non comme certains le pensent pour profiter de ce beau pays qu’est la Suisse.
SdS

Interview

Le rejet de l’étranger vu par deux politiciens.

Deux représentants de partis aux idées totalement opposée donnent leurs positions face au problème de la xénophobie en Suisse. D’une part, Maître F. Contini -parti des Verts- est pour un système d’intégration proactif des étrangers. À l’inverse P. Calegari garagiste -parti de la Liberté- se prononce pour des mesures restrictives à l’encontre des vagues de demandeurs d’asile.
Propos recueillis par Viviana von Allmen

Que pensez-vous des statistiques officielles suisses, sur les étrangers qui peuplent notre pays ?
Me F.Contini :
C’est clair, les statistiques ne tiennent compte que des personnes déclarées. Mais il y en a des milliers qui arrivent comme clandestins. C’est une réalité qui existe. Ils viennent à cause de notre économie stable. Il faut les régulariser.
On a besoin de ces personnes, notamment dans le secteur agricole ou l’économie ménagère, comme est le cas à Genève. Notre économie fonctionne en partie à eux. Il y a un intérêt politique de leur maintenir ainsi. Il est une tradition en Suisse de maintenir ces clandestins.

P.Calegari :
C’est difficile à dire. Dans ce domaine on a perdu les notions de critères de base. Les autorités mettent tout dans le même chapeau : les étrangers et les réfugiés, et ce n’est pas la même chose. Il y a 20 ans nous étions bien organisé, on avait des quotas et des fonctionnaires pour faire des recherches sur les personnes. «Nous sommes en train de vider nos caisses – AI, chômage, maladie, etc.- surtout à cause des demandeurs d’asile et le pays n’a plus de ressources. Je n’ai plus d’espoir  pour que la situation s’améliore» s’écrie P. Calegari.

Pourquoi certains partis politiques en Suisse sont réticent à la nouvelle vague d’étrangers ?
Me F.Contini :
Depuis le siècle passé la population étrangère en Suisse est la plus haute de toute l’Europe. La politique suisse en générale est réticente envers l’étranger. Ceux-ci jouent un rôle de bouc émissaire envers d’autres problèmes, les étrangers sont les nouveaux responsables de tout. Dans les années 80, c’étaient les Tamils, qui sont aujourd’hui parfaitement intégrés.

P.Calegari :
Il y a des étrangers qui non pas bien compris les règles du jeu. Quand quelqu’un vous accueille sur sa terre, il ne faut pas essayer d’imposer sa propre culture. Si on parle des peuples balkaniques ; ils ont un passé proche de guerre, donc pour la majorité ils viennent avec un bagage violent.

Pensez-vous qu’une majorité de citoyens haïssent les étrangers?
Me F.Contini :
Il y a actuellement de la xénophobie dans toutes les couches de la population. Bien que les jeunes sont confrontés au multiculturalisme, le problème vient des moeurs des anciens. La Suisse est habituée à être séparée de tout. On se considère comme une île et ce sentiment est ancré.

P.Calegari :
Non, et j’espère qu’on n’arrivera jamais à ce stade. Bien qu’il me soit arrivé d’entendre des conversations à propos des étrangers avec des mots d’une rage incommensurable. J’oses espérer que ce sont des cas isolés.

Est-ce que les étrangers apportent quelque chose au pays ?
Me F.Contini :
Contrairement à ce qu’on entend de partout, les étrangers sont économiquement rentables. Ils apportent énormément sur le plan économique, culturel et croissance de la natalité ce qui nous permet de maintenir notre sécurité sociale.

P.Calegari :
Actuellement les apports des étrangers sont faibles voir nuls, par exemple : il n’y a pas de conférence explicative menée par des personnes qui révèlent une culture d’ailleurs. Le pluriculturalisme n’est plus très utile à notre pays. On a plus le temps de connaître les coutumes d’autrui. On devrait renforcer nos traditions. Personnellement je préfère aller dans des pays divers pour connaître leurs culture, sur place on apprécie leurs coutumes sans engagement.

En quoi l’étranger endommage le pays ?
Me F.Contini :
Ce n’est pas la personne en tant qu’étrangère qui puisse détériorer le pays, je ne crois pas qu’il y ait un danger réel.

P.Calegari :
Ce ne sont pas tous les étrangers qui endommagent le pays. Il y a trois catégories d’étrangers :
1) Une toute petite partie ceux qui viennent avec de bonnes intentions pour travailler et aider le pays. Pour ceux-ci il vaut la peine de s’engager. 
2) Les profiteurs, qui ne savent aucune des langues nationales, mais une parole «ASILE». D’ailleurs l’erreur de leur acceptation à la légère est en nous, nous avons beaucoup de bureaucratie et pas assez du personnel pour traiter chaque cas.
3) Les délinquants, un exemple : à Bienne on a 19 restaurants avec des tenanciers criminels.

Les autorités devraient –elles avoir plus de contrôle sur les étrangers qui habitent notre pays ?
Me F.Contini :
Je ne vois pas une nécessité d’un contrôle plus approfondi. Le problème de la délinquance attribuée aux étrangers est basé sur ceux qui sont de passage.

P.Calegari :
Oui, mais là  encore, on est en déficit de fonctionnaires de contrôle.

Devrions nous nous montrer plus sélectifs en rapport à l’accès des étrangers ?
Me F.Contini :
Nous le sommes déjà mais, le problème ne peut pas se résoudre chez nous quand il est à une échelle européenne. Le contrôle géographique nous échappe.

P.Calegari :
Il est difficile de prendre des mesures quand on a pas une base légale forte.

Les lois ne devraient-elles pas être plus dures pour les délits commis par la criminalité dirigée par des petits groupes d’étrangers ?
Me F.Contini :
La loi en Suisse est déjà assez sévère.

P.Calegari :
Non seulement pour les étrangers sinon pour tous. Par notre faute, nous manquons d’établissements carcéraux, mais le pire c’est qu’il n y a pas une volonté de renverser cette situation.

Pourquoi se produisent tous ces dérapages dans des cercles des étrangers ?
Me F.Contini :
C’est la presse qui se charge d’intensifier ces événements quand ils sont conduits par des étrangers. C’est vox populi que l’intégration de ces jeunes est ardue, de par leur faible formation, ce qui rend leur accès au marché du travail très problématique. C’est ainsi que se créent des cercles où certains de ses membres peuvent engendrer de mauvais principes. La solution est de mettre un système en place, où ils puissent être occupés, motivés, afin de s’intégrer dans nos mœurs.

P.Calegari :
Une grand partie d’entre eux sont issus d’un milieu laxiste, ils se sont formé dans la débrouillardise. Donc ils ne s’identifient pas en Suisse, pays de traditions démocratiques. Leur intégration n’est plus une simple question enseignement. On ne peut pas changer une mentalité du jour au lendemain.

Devons-nous nous protéger des étrangers ?
Si oui, comment ?
Me F.Contini :
Nous sommes déjà bien protégé.

P.Calegari :
Il n’y a pas de formule magique.
En principe on ne devrait pas avoir besoin de se protéger et pouvoir bouger naturellement, sortir sans crainte de chez nous. Malheureusement il y a plusieurs personnes qui se protégent en restant à la maison. C’est une situation regrettable, qui fait mal au cœur, si on pense qu’après des années de travail les personnes âgées doivent rester confinées chez elles.

Y a t-il un dénominateur commun qui prédomine dans les communautés étrangères ?
Me F.Contini :
Non, c’est illusoire de penser que différentes communautés puissent avoir un dénominateur commun.

P.Calegari :
Non, il serait injuste de les figer sous un dénominateur commun. Mais on est victime de notre renommé de pays riche. C’est le prix a payer après des siècles de travail que nos ancêtres ont réalisé pour forger un pays sain et riche.

Que pensez-vous des propos de Blocher par rapport aux requérants d’asile ?
Me F.Contini :
On a déjà les lois les plus dures de toute l’Europe.
Avec la baisse de requérants d’asile qu’on a aujourd’hui, c’est clair que ses propos cachent un but plus élargit que les restrictions au secteur de l’asile. En ce qui concerne l’annulation des prestations sociales ceci va s’étendre aussi à toute la population. L’affaire de l’asile est une machinerie montée en épingles.

P.Calegari :
Je suis plutôt d’accord avec la pensé de M. Blocher. En ce qui concerne son désir de vouloir changer la Constitution, je croie qu’il pousse trop loin. Dans ses propos il n’est pas crédible.

À votre avis, qu’est ce que c’est la xénophobie ?
Me F.Contini :
C’est l’expression d’un malaise social, qui se cristallise sur l’étranger. Ce sont nos propres frustrations qui ressortent à l’encontre de l’étranger.

P.Calegari :
Quelqu’un qui ne voit jamais assez. Le pouvoir peut dégénérer dans la xénophobie.