Édito

Les journalistes s’abonnent à la précarité

Viviana von Allmen
En Suisse, pays par excellence de la haute finance, dont la presse se fait un écho permanant, on en parle peu ou prou des difficultés des journalistes qui vivent l’autre face de la monnaie. 
Il est vrai que l’âge d’or du journalisme n’a jamais existé. Dès son émergence comme art d’informer, le journalisme a toujours été soumis aux aléas de ses rapports au pouvoir et à la politique, comme de ses liens avec les milieux économiques et financiers, aux contingences de l’audience et de la concurrence, aux incertitudes de l’actualité et de ceux qui produisent les journaux.
Intermittents, chômeurs, fragilisés en tous genres sont en général de « bons clients » pour les médias. Ces derniers sont en revanche beaucoup moins diserts lorsqu’il s’agit de parler de leurs ouailles : les journalistes. Tous ne sont pas des hommes troncs présentant le 20 heures pour un salaire annuel à 6 chiffres.
La FSJ estime ainsi que près de 10% des journalistes suisses sont au chômage. Cette activité est donc l’une des plus sinistrées de l’économie suisse, qui connaît actuellement un taux de chômage global de plus de 3 %. 
Dans les médias le régime minceur est, lui, toujours à l’ordre du jour. Selon la FSJ, quelque 600 journalistes sont actuellement inscrits au chômage. Il faut également ajouter les journalistes qui ont changé de profession et les indépendants en difficulté.
La nouvelle loi sur le chômage a essayé de pallier aux besoins particuliers des contrats de durée limitée en offrant des règles spéciales pour le calcul des 12 mois travaillés. Le fait d’accepter des engagements courts ne défavorise plus les assurés. Si, dans le cadre de deux ans, on peut justifier de six contrats d’une durée d’un mois, le droit à l’indemnisation est acquis ; en fait un emplâtre sur une jambe de bois.
Quel avenir pour la profession ? Les instituts de journalisme ne désemplissent pas, les restructurations économiques sont devenues une règle, la rentabilité des médias une véritable religion, comme dans beaucoup de domaines, que reste-t-il ? Probablement la foi et l’envie de partager avec les lecteurs. A vos plumes !

Eclairage

Caricatures de Mohamed:

Une liberté de presse mal définie !*

Les Libres ont mis en débat scientifique et déontologique l’affaire des caricatures de Mohamed. « On dit souvent « la liberté d’expression, on ne touche pas » c’était au centre de débat, or cette liberté est limitée aujourd’hui par certains nombres de loi et de codes déontologique. » explique Sylvie Arsever.
Ihsan Kurt

Beaucoup d’encre a coulé après la publication des caricatures de Mohamed dans le journal danois Jyllands Posten le 30 septembre dernier. Beaucoup d’amalgames ont été faits autour « de l’affaire des caricatures ». A part des débats médiatiques, les milieux académiques aussi ont débattu encore une fois «la religion, la laïcité et la liberté de la presse ». Les journalistes libres romands ( JRL) (un groupe de travail d’Impressum) a organisé une conférence sur « La liberté de la presse et ses limites » le 8 mars dernier à Lausanne.

Comme l’actualité de la liberté de presse de ce moment concernait les caricatures du Prophète de l’islam, les intervenants, soient le professeur de Linguistique à l’Université de Neuchâtel (UNINE) et Sylvie Arsever, journaliste, Vice- présidente du Conseil suisse de la presse, ont fait leur exposé sur les caricatures de Mohamed publiées dans le journal danois et les réactions violentes des mouvements islamistes dans le monde. « J’ai eu le sentiment que les médias comme les fleurs au fusil ont défendu les caricaturistes. Ils ont pris en cheval de bataille de la liberté de presse » dit le professeur de Saussure. Et Sylvie Arsever constate que  la liberté de presse est considérée comme quelque chose qu’on ne touche pas, « Pourtant elle est limitée par un certain nombre de lois et de codes déontologiques » dit-elle.

Selon le professeur de Saussure, les raisons pour lesquelles les médias ont pris la défense des caricaturistes sont le fait que la liberté d’expression elle-même est considérée comme une valeur absolue en Occident et que cette liberté est impliquée par le journaliste lui-même. « C’est important pour la presse de dire ce qu’elle pense. C’est un besoin comme de médicament pour la presse » dit-il. Le linguiste analyse ce débat public en se posant la question suivante : Quelle  donc est la limite éthique et valeur sociale de cette liberté ? « La liberté est très floue, abstraite. Elle est mal définie. A part son sens premier, il y a aussi des connotations. Valeur en soi comme liberté et valeur professionnelle sont trop floues. Elles peuvent devenir comme un serpent qui se mord la queue. Je crois que le journaliste lui-même peut décider où il doit s’arrêter » explique-t-il.

Le professeur de Saussure a souligné l’importance des équilibres sociaux et le respect d’ autrui dans la défense de la liberté. Pour lui, l’Esprit des Lumières était important dans la définition des limites de la liberté. Par contre, ceci ne devrait pas permettre ni de diffamer ni d’insulter. « On a pas le droit de porter atteinte à l’image des individus, mais celle-ci est en même temps très subjectives »souligne-t-il. Il a également a relevé le manque de compréhension et de distance de la communication interculturelle dans le débat. « La société occidentale ne peut pas décider toute seule, dans le cas de respecter les minorités. Notre société s’est désacralisée depuis la Révolution et des Lumières. Je crois qu’on ne comprend pas et on est incapable de comprendre d’où vient le problème car à cause des Lumières notre culture nous a rendus en même temps incapables de comprendre ce problème » Comme solution, il proposa le dialogue entre les civilisations, car l’Islam était une partie du christianisme.

Une liberté variée
Sylvie Arsever a éclairci les auditeurs au niveau déontologique. Elle dit que les valeurs de liberté sont variées d’une société à l’autre. Et dans certains pays musulmans, la liberté est comprise comme la liberté envers la confession donc la protection de la sphère privée. Dans le contexte de la Suisse il n’y a pas de thèmes que la caricature ne pourrait aborder. «Mais certains règles déontologiques doivent être appliquées. C’est-à-dire à travers l’exagération on doit dire la vérité en tenant compte du respect de la religion et de celui de la personnalité.» dit-elle. Ayant donné certains exemples de cas arrivés devant le Conseil suisse de presse, Sylvie Arsever explique qu’il fallait utiliser les symboles religieux sans les déformer et sans les rendre irrespectables. Les groupes ont aussi le droit de ne pas être atteints dans leurs images. « Plus le climat est raciste plus il faut être prudent. Le climat de haine nécessite  d’être prudent dans les clichés qui déclinent un groupe »dit-elle. « Elles étaient ni belles ni drôles » conclut la journaliste.