Films

Le joli coup de George Clooney

Avec son deuxième film en tant que réalisateur après « Confessions d’un homme dangereux », George Clooney confirme un talent indéniable de metteur en scène. Passionnant et précis comme un documentaire, « Good Night and Good Luck » propose en plus une réflexion intéressante sur le rôle des médias.

L’HISTOIRE : Pendant les années 50 aux Etats-Unis, le sénateur Joseph McCarthy sème la terreur avec son impitoyable chasse aux communistes. Journaliste vedette de la chaîne CBS, Ed Murrow est indigné par les méthodes déloyales du sénateur. Il lui déclare la guerre à travers son émission phare.

Épisode noir de l’histoire des Etats-Unis, la chasse aux communistes (aussi appelée chasse aux sorcières !) entreprise par McCarthy pendant les années les plus sombres de la Guerre froide n’a jamais été le sujet favori des réalisateurs américains. George Clooney aborde ici le sujet en le confrontant au pouvoir des médias.

Dans son premier film, Clooney ressuscitait Chuck Barris, l’inventeur de la télé à grand spectacle. Il fait renaître ici une autre ancienne gloire cathodique, mais d’un genre plutôt différent. Le personnage principal de « Good Night, and Good Luck », Ed Murrow,  était un journaliste vedette des années 50, considéré comme un modèle de vertu et de probité. Mais à la différence de « Confessions d’un homme dangereux », où Clooney retraçait la vie de son héros, son nouveau film a pour cadre un épisode de l’histoire dans laquelle Murrow joue un rôle. Cette approche différente permet à Clooney de se concentrer uniquement sur les faits,  à savoir le conflit que se livrent par écrans interposés le journaliste et le politicien, sans se soucier des destins de ceux qui y participent. Et même si on peut regretter de ne pas en savoir un peu plus sur Ed Murrow, personnage énigmatique et fascinant s’il en est, on félicite Clooney de ne pas avoir plombé la trame déjà ultra dense de son film avec des détails biographiques.

Outre la limpidité de sa mise en scène, Clooney a aussi le mérite de poser des questions intéressantes sur le rôle des médias, particulièrement lorsque ceux-ci sont confrontés au pouvoir politique. Les médias ont plus que la simple responsabilité de dénoncer l’injustice. Ils en ont le devoir. Plus qu’un pamphlet contre les méthodes de McCarthy (pour lesquelles Clooney ne cache d’ailleurs pas son mépris), « Good Night, and Good Luck » se veut un plaidoyer pour la liberté et les droits de la presse. Et même si les événements du film se déroulent dans les années 50, les problèmes que rencontrent Murrow pour monter son sujet (il doit faire face à la crainte des propriétaires de la chaîne de froisser les sponsors et les instances politiques), sont malheureusement encore et toujours plus d’actualité.

Film intelligent, passionnant et très bien documenté, « Good Night, and Good Luck » prouve qu’il faudra désormais compter non seulement sur le talentueux acteur qu’est  déjà George Clooney, mais également sur le brillant réalisateur qu’il est en train de devenir.

De Georges Clooney. USA. 1h33. Avec David Strathaim (Eward Murrow), George Clonney (Fred Friendly), Robert Downey Jr. (Joe Wershbla), Jeff Daniels (Sig Mickelson),…

Portrait

La politique au féminin : luttes et crève-cœur de Carol Gehringer

Carol Gehringer, mère de famille, directrice de crèche, mais aussi co-présidente des Verts neuchâtelois, entame sa deuxième législature en tant que députée au Grand Conseil. Elle n’hésite pas, en parlant du marasme financier qui touche le canton, des femmes en politique et de ses expériences personnelles au sein du législatif, à mettre le doigt sur la plaie.

La Neuchâteloise affirme avoir fait son entrée en politique par curiosité. Elle voulait découvrir ce qu’est la politique institutionnelle, ayant connu la politique de rue pendant des années. Quand on lui propose de s’engager dans les rangs du parti écologiste, Carol Gehringer décide que le moment est bien choisi pour aller de l’avant. Forte de son élection au Grand Conseil Neuchâtelois, elle veut voir changer ces choses qu’elle critiquait depuis si longtemps, comme la bureaucratie et le manque de confiance des citoyens dans la politique. «J’avais le sentiment qu’il y avait un manque d’imagination de la part des dirigeants pour améliorer les choses,» explique-t-elle. « Je voulais savoir si le mauvais fonctionnement de la politique était dû au manque de savoir, au manque de volonté des dirigeants ou au fait que la politique institutionnelle soit gangrenée au point où il n’est plus possible de changer le fonctionnement de la société sans recours à la révolution ».

Le réveil est dur pour Carol Gehringer. Elle comprend rapidement que ses critiques étaient justifiées. Elle se voit particulièrement déçue par la position de l’actuelle majorité de gauche, qui, selon la députée écolo, aurait le pouvoir d’améliorer la situation sociale : « Pour des raisons purement financières, la majorité actuelle démantèle notre Etat social, parce qu’elle a une vision ‘réaliste’ des finances ». Cela n’implique pas, pour Carol Gehringer, que la gauche soit responsable de la situation désastreuse des finances cantonales : «Cela fait trente ans que la droite est au pouvoir et qu’elle vide les caisses. Il est clair que la gauche, qui fait le nettoyage, s’octroie des mauvaises notes et est contrainte à s’engager dans une voie politique qui n’est pas celle de la gauche ».

Carol Gehringer se montre critique vis-à-vis des restructurations engagées par la majorité à l’assemblée législative : « Je ne toucherai ni au social, ni à l’éducation», insiste-t-elle. La solution, elle la voit dans la réduction de la bureaucratie et elle considère qu’une diminution de l’hiérarchie des fonctionnaires entraînerait aussi une croissance de la confiance des citoyens dans les institutions. « Actuellement les chefs de service ont trop de pouvoir. Ce sont eux qui gouvernent. Les politiciens ne sont plus que des porte-parole. Pas des porte-parole de leur propre politique, mais des porte-parole de la situation actuelle. Par conséquence, ils ne peuvent pas mettre en place ce qu’ils aimeraient faire ».

En tant que femme, Carol Gehringer ne s’est jamais sentie discriminée. Mais pendant les cinq ans qu’elle siège au parlement cantonal, elle croit avoir saisi que les femmes ont une approche différente de se produire en politique : «Les femmes tiennent beaucoup à ce que leurs dires soient vrais, prouvés et vérifiés plutôt deux fois qu’une. Alors qu’il me semble que les hommes ont une approche différente, dans le sens qu’en politique, il faut parler pour parler. Si on se trompe, on se reprend. Ce n’est pas grave. Ce qui importe n’est pas ce qu’on dit, mais l’important, c’est d’être. Dans une époque où une grande partie de la politique se fait à travers les médias visuels, le citoyen ne se rappelle plus tellement de ce qu’on a dit, explique-t-elle, mais il se rappelle parfaitement des visages vus à la télévision ou sur les photos ». La majorité des femmes en politique n’auraient pas encore compris cela et feraient donc preuve de trop de retenue.

D’autre part, beaucoup de femmes auraient peur de s’engager. Le climat d’insécurité dans le monde politique, où une carrière peut se terminer pour un tout ou un rien, empêcherait le développement du culot nécessaire au politique. A Neuchâtel, sur 115 parlementaires, il y a actuellement 34 femmes.

En tant que femme de couleur, Carol Gehringer, n’a vécu aucune mauvaise expérience. Avec un sourire, elle raconte que, pour les Neuchâtelois, elle n’est pas nécessairement une femme noire. «Ça fait bientôt cinquante ans que je suis arrivé à Neuchâtel et j’ai grandi dans une famille blanche. Les gens me connaissent depuis que je suis petite et ils se réjouissent de mon succès » . Elle raconte que, pour elle, c’est à cause de ses engagements sociaux à travers sa profession, sa présence lors de manifestations et une ligne de conduite toujours suivie, qu’elle a été élue. «Les gens respectent ça,» dit-elle. «Même si certains ne votent pas pour les Verts, ils votent pour moi ».

La lutte de Carol Gehringer est tout d’abord celle contre l’exclusion sociale. Elle ne veut pas accepter qu’il y ait des laissés pour compte dans le canton. Dans une Suisse où la majorité des grandes entreprises et surtout les banques vont très bien, elle croit profondément en une issue aux problèmes financiers et en un dénouement qui permettra de réduire le clivage social. La solution n’est pas facile à trouver, constate Carol Gehringer avec un petit air de résignation. Mais, malgré une certaine déception du monde politique, elle n’est pas prête à abandonner à 51 ans, le combat pour une société meilleure qui « respecte non seulement les êtres vivants mais également l’eau, l’air et la terre sans lesquelles la vie n’est pas possible » .
S.R.