Édito

La peur une émotion simple

Viviana von Allmen
On parle des sentiments nobles et des sentiments ignobles. Mais…
Où se trouve la place de la peur ? D’ailleurs qu’est-ce que la peur ?
Toutes les civilisations ont eu à faire avec la peur. Face aux grandes énigmes de l’univers, de l’Homme, de la vie et de la mort, canalisées par les traditions, les coutumes et les conduites d’évitement, se sont crées des peurs de toutes sortes : les tabous, les démons, l’étranger…
La peur est une émotion d’anticipation. Elle informe l’organisme d’un danger potentiel. Ce n’est pas ce qui se produit dans le présent qui représente un danger, mais ce qui pourrait survenir dans un avenir plus ou moins rapproché (quelques secondes, des jours…). L’information qu’elle fournit nous permet de prendre les mesures pour nous protéger. À ce titre, elle est très précieuse et même indispensable à la vie. Les animaux disposent eux aussi de cette émotion protectrice.
La peur surgit là où le sentiment de sécurité n’est plus absolu. Elle semble impliquer la sensation du danger dans sa perception immédiate, que celui-ci soit réel ou non.
L’évaluation du danger est toujours subjective; la peur donc, comme toutes les émotions, est subjective.
Elle ne se cultive pas, une fois le danger écarté, la peur s’efface. La peur se dépasse en même temps que s’acquiert la maîtrise sur l’environnement et que se construit une sécurité de base.
La peur se dépasse en même temps que s’acquiert la maîtrise sur l’environnement et que se construit une sécurité de base. On parle d’angoisse lorsqu’une situation ressentie dangereuse ne l’est pas et ne le deviendra peut être jamais. Elle relève de la pulsion. Elle se vit, se parle à l’avance, s’anticipe. C’est à partir d’une menace réelle ou non que se développe l’angoisse si la peur ne peut être dépassée. Tous les scénarios qui justifient l’angoisse sont des mirages.
Mais nous, nous connaissons sur le bout des doigts, nous nous sentons mêmes capables, grâce à nos nombreuses lectures sur le sujet dans les magazines féminins, d’analyser la situation : « Un oedipe contrarié alors que nous entrions en maternelle », « une mère super mais terriblement protectrice », « une crise d’adolescence larvée qui n’a jamais pu donner sa vraie dimension »… D’accord, d’accord, mais impossible de réécrire les épisodes de notre journal de jeune fille, pour en modifier l’histoire ! Et puis, tout le monde a des parents, tout le monde a un passé… à quoi sert de revenir sur notre histoire ? Sûrement pas à résoudre nos problème immédiats.
Bref, la peur es une émotion comme les autres, nous serions plus crédibles à nos yeux si on la laisse couler dans la grande rivière des nos émotions.

Films

Un néonazi, un pasteur, des pommes et des vers

ADAM’S APPLES – Peu connu chez nous, le cinéaste danois Anders-Thomas Jensen nous livre un film drôle, cynique et touchant à la fois. A découvrir.

Avec « Adams’s Apples », Anders-Thomas Jensen prouve que le cinéma danois ne se résume pas uniquement aux films de son compatriote Lars Von Trier et à ses fameuses expériences dogmatiques. Pour rappel, l’école Dogma, fondée par quelques cinéastes danois (dont Lars Von Trier) propose de faire du cinéma en refusant tout apport artificiel. Ainsi, les réalisateurs qui souhaitent que leur film reçoive l’appellation Dogma ont l’obligation de respecter certaines contraintes durant le tournage. Par exemple, ils doivent utiliser seulement des décors et une lumière naturels et ne filmer qu’avec une caméra portée à l’épaule. Le résultat, toujours surprenant, est donc un curieux mélange d’amateurisme et de savoir-faire expérimental. Anders-Thomas Jensen, qui s’est essayé aux concepts dogmatiques par le passé, est toutefois revenu à une réalisation plus traditionnelle pour son nouveau long-métrage.

« Adam’s Apples » raconte l’histoire d’Adam, un ex-taulard néonazi qui, à sa sortie de prison, est recueilli par Ivan, un pasteur à la foi inoxydable et à l’optimisme inébranlable. Durant le séjour d’Adam, Ivan va tout tenter pour faire évoluer son pensionnaire et atténuer sa haine. Mais tous les efforts du pasteur se heurteront au nihilisme du néo-nazi. Et pourtant, Ivan n’aura cesse de positiver et de voir le bien là où toute autre personne ne verrait que le mal. Pour aider Adam, il lui proposera de réaliser un gâteau aux pommes avec les fruits de l’arbre de l’église. Et malgré les nombreux problèmes rencontrés durant la réalisation de ce grand projet, le pasteur ne baissera jamais les bras. Contrairement à Adam. Mais ce dernier se rendra rapidement compte que si l’obstination du pasteur rime avec amour de Dieu, elle est aussi associée à une bonne dose de folie. En filmant la rencontre improbable de cet homme d’Eglise borné et de ce fasciste haineux, Jensen confronte deux manières opposées d’appréhender le monde. Le réalisateur danois s’applique à ne prendre parti pour aucune d’entre elles, mais montre avec délectation qu’elles sont l’une comme l’autre proches de la folie lorsqu’elles sont poussées à l’extrême. Les deux protagonistes sont donc un peu dérangés, chacun à leur manière : Ivan dans sa manière en se remettant entièrement à Dieu et en refusant de se confronter à la réalité, Adam en ne croyant en rien et en cultivant sa haine de l’autre. Mais si l’opposition des deux personnages donne lieu à quelques considérations morales intéressantes et jamais gratuites, elle est aussi à l’origine de situations comiques savoureuses. Ainsi, on rit souvent en voyant Adam incapable d’ébranler l’optimisme d’Ivan, malgré une mauvaise volonté poussée à l’extrême. La scène qui voit l’ex-taulard proposer de résoudre le problème des oiseaux qui attaquent le pommier à l’aide d’un pistolet est sans doute l’une des plus drôle.
La réussite d’ « Adam’s Apples » doit aussi énormément à son duo d’acteurs. Dans le rôle d’Adam, Ulrich Thomsen, crâne rasé et mine patibulaire, fait ressortir crescendo l’humanité qui habite son personnage. En face de lui, Mads Mikkelsen, interprétant le pasteur qui s’efforce de positiver quelle que soit la situation, alterne les regards remplis d’innocence de l’éternel optimiste avec ceux plus sombres de l’homme confronté à la réalité avec un talent déconcertant. Si le cinéma danois est aussi bon dans l’ensemble que l’est le film de Jensen, on regrette qu’il ne s’exporte pas mieux.
Didier Nieto

De Anders-Thomas Jensen. Danemark. 1h34. Avec Mads Mikkelsen (Ivan), Ulrich Thomsen (Adam), Ali Kazim (Khalid), Nicolas Bro (Gunnar), Ole Thestrup (Dr. Kolberg),…