Eclairage

La liberté de comparer

La marque A est meilleure que la marque B: tel est le message simpliste que préconise la publicité comparative. Encore peu pratiquée en Suisse, la confrontation directe entre les produits de deux marques est autorisé mais soumis aux critères de loyautés strictes.

Cette sorte de publicité crée un malaise évident dans nos contrées. En effet pendant longtemps l’idée de valoriser un produit sur le dos d’un concurrent a toujours été taboue. Il est clair que cette mode vient d’outre-atlantique ou le marché est bien plus agressif et ces pratiques sont monnaie courante. La guerre par publicité interposée que se livre Pepsi et Coca Cola est le meilleur exemple.
Légalisé depuis 1971 aux USA, mais seulement depuis 2000 en Europe, cette sorte de publicité est considérée comme bénéfique pour le consommateur, qui peut, en théorie, se faire une meilleure idée des produits sur le marché. Ainsi les caractéristiques sont facilement reconnaissables en démarquant les différences. Tele2 et Swisscom se livrèrent une bataille acharnée en recourrant à cette technique. Les deux opérateurs ont essayé de promouvoir leur marque avec l’argument du moindre prix, bien entendu la palette des prix exhibés fut choisie d’après leurs intérêts.
A l’exception des challengers jeunes et agressifs comme Orange et Ryan Air, dont l’image de marque est le dynamisme et l’innovation, peu de firmes ont recours à cette pratique. Le respect mutuel des grandes entreprises (qui se côtoient souvent comme partenaires), la peur de déclarer une sorte de guerre entre concurrents et la ligne juridique déconcertante n’a pas généralisé cette technique. Aussi ces procédés ne vont pas sans risque sur le plan du marketing.

Des études ont effectivement montré que les marques attaqués subissent souvent une perte de valeur auprès du public, en revanche le produit dont on vante les mérites ne monte pas en estime. Le promoteur risque même une perte de confiance s’il franchit la ligne entre l’acceptable et le vulgaire. Car la publicité comparative ne vise pas seulement à valoriser la propre marque et le produit mais aussi à dénigrer la concurrence. A cela s’ajoute la mention explicite ou implicite du concurrent créant une publicité involontaire pour celui-ci. En effet, d’après les statistiques beaucoup de personnes visées associent le message publicitaire au concurrent.

Pour le consommateur les problèmes résident dans le contrôle. Les pratiques illicites trompant les consommateurs requièrent l’intervention des lois fédérales contre la concurrence déloyale. A l’exception des informations clairement fausses, il est difficile de constater des manquements. Ainsi les publicitaires essayent de promouvoir les cotés positifs et négatifs qui les arrangent. Sans être mensongers les données peuvent induire le consommateur en erreur. Théoriquement interdit ce genre de procédé est souvent difficile à déceler.

Les effets sont positifs quand la comparaison se déroule sans dérapages. Politique de prix, critères de provenance, souci écologique; tout est soumis au choix du client et doit être tout a fait correct. Ainsi le consommateur peut choisir les services et produits plus facilement. Si la publicité comparative se tient au code de déontologie et que la pratique devient plus généralisée, le bénéfice à long terme pour le monde de la publicité et pour le consommateur sera considérable.
R. W.

Actualité

Des draps blancs contre la publicité abusive

Dans l’ombre de la nuit du 1er au 2 juin plus de quatre-vingts affiches publicitaires sont recouvertes de nappes blanches dans le littoral neuchâtelois.  Il s’agit de créer des «Zones Autonomes Temporaires», des zones libérées de publicité, comme l’explique un communiqué de presse le lendemain. Début novembre l’affaire passe en justice. Considéré comme l’instigateur des cette action «anti-consumériste», David L’Epée, président du groupe Jeunesse SolidaritéS, comparaît devant le Tribunal de Police. Le procès ne permet pas d’établir les faits de dommage à la propriété, et David L’Epée est acquitté sous condition de ne pas recommencer.
Steve Remesch

Avec quelques mois de recul, David L’Epée considère l’action spectaculaire du début de juin comme un franc succès. «Nous avons réussi à sensibiliser l’opinion publique. C’était le but de l’action», explique-t-il. «Pour faire comprendre aux gens l’étendue de l’espace occupé par la publicité, nous l’avons couvert de papier blanc.» Le blanc serait une couleur qui interpellerait d’avantage à  cause de son uniformité. Le principe n’est pas nouveau. Depuis des dizaines d’années, de telles actions sont menées à travers le monde. David L’Epée insiste sur le principe de la non-violence : «Si certains agissent par des actes de vandalisme, nous avons appliqué quant à nous un procédé qui empêche la publicité d’atteindre son but, sans endommager les supports publicitaires.»

Le 2 juin, vers trois heures du matin, quatre équipes, avec un total d’une vingtaine de personnes, se mobilisent simultanément dans divers quartiers du littoral neuchâtelois pour atteindre un maximum de cibles en peu de temps. Tous ont un trajet bien planifié, dont le critère principal est la visibilité. Les affiches longeant les trajets de bus sont particulièrement visées.

Le groupe de David L’Epée part à Corcelles, pour suivre une longue ligne droite et atteindre le centre de Neuchâtel. Le trajet est particulièrement exposé et le risque de se faire interpeller par les forces de l’ordre particulièrement élevé. «Nous étions tous parfaitement conscients des risques que nous courrions», explique le président de Jeunesse SolidaritéS. Quand une patrouille de police surprend son groupe, celui-ci se disperse pour échapper à une éventuelle arrestation. David L’Epée est le seul à être interpellé. Après avoir expliqué le but de l’action aux policiers, ces derniers constatent que cette action risque de ne pas plaire aux annonceurs.

Dans les jours suivant cette action spectaculaire, la Société Générale d’Affichage (SGA) dépose plainte pour dommage à la propriété. David L’Epée est assez étonné de ces accusations : «La méthode appliquée pour voiler les affiches publicitaires a été particulièrement choisie pour ne pas endommager les supports publicitaires. Des nappes de papier étaient scotchées sur les bords des panneaux. Par conséquent, je m’attendais plutôt à une plainte pour préjudice moral subi par la S.G.A. privée de visibilité pendant une demi-journée.» L’enquête policière établit elle-aussi qu’il n’y avait pas de déprédations.

Lors du procès du 10 novembre, le juge explique au prévenu, que même s’il n’y avait pas d’atteinte physique, on pourrait envisager une extension du domaine de propriété à une forme d’atteinte à la propriété informelle, du fait que les annonces n’étaient pas visibles pendant plusieurs heures. Le président du Tribunal Pierre Aubert constate donc bel et bien une atteinte à la propriété du fait que l’état des affiches publicitaires avait été modifié temporairement. Par conséquent le ministère public demande une amende de 400 francs pour réparer le préjudice. Finalement, les différentes parties impliquées tombent d’accord sur un arrangement. Les plaignants renoncent à l’action en justice, contre la promesse de David L’Epée de ne plus participer à de telles actions.
StR

Photos: Steve Remesch