Reportage

Squats artistiques: les nouveaux musées? suite

Le début des années 80 marque une période de nouvelles expériences de rapport à l’art dans des espaces inédits. Regardons de près l’esprit qui anime un artiste pour habiter un squat.

Les squats sont intéressants à étudier dans leur manière d’exposer les œuvres. Le traitement des objets bouscule un peu les automatismes de perception qu’ont habituellement les visiteurs. En effet,  le fait qu’un objet soit exposé sur l’endroit même où il est né ne permet pas toujours de le mettre en scène de la même manière que l’on s’y prendrait dans un musée. Dans un squat, l’objet est dans son milieu naturel. Prenons une fresque, un graffiti sur le mur d’une friche industrielle par exemple : on peut difficilement dans ce cas modifier la présentation puisque l’objet est partie intégrante du lieu, excepté en modifiant l’éclairage par exemple. Ainsi, le fait de ne pas pouvoir faire évoluer une présentation montre qu’il n’y a pas de réel programme scientifique ; l’exposition dans un squat ne joue pas le même rôle que celle que propose un musée (nous y reviendrons). Cependant, un squat est aussi un lieu où l’objet n’est pas nécessairement rattaché au bâtiment ; certains utilisent la friche comme un atelier et s’expriment sur toile ou en sculpture. De la sorte, ce genre d’objets peuvent être traiter différemment d’une fresque, ils peuvent être mis en scène à leur manière. Mais la mise en scène d’un objet, à des fins d’expositions, n’a pas vraiment de sens dans un squat artistique. En effet, exposer un objet dans un musée est nécessaire dans le sens où la manière dont on va le rendre visible doit lui faire raconter son histoire (sa provenance, son âge, etc.) ; mais exposer un objet dans un squat n’a pas de sens dans le mesure où celui-ci à été créer dans le squat, qu’il y joue son rôle, qu’il y a raconte son histoire et y transmet son message tout au long se sa création et de son existence. Il n’y a alors pas de raison de créer une mise en scène puisque l’objet n’est pas sorti de son milieu d’origine. Ainsi, bien que de nombreux objets ne soient pas physiquement rattachés au squat où ils ont été créés, ils restent indissociables du bâtiment. Un bâtiment laissé à la déshérence, devenant squat et ainsi témoins des transformations sociales, est un canal par lequel « l’objet-message» transmet sa protestation.
Revenons sur un point : quand l’objet reste dans son milieu naturel. Cela peut faire penser la notion d’écomusée dont on doit le nom à Hugues de Varine et l’originalité et la substance à Georges-Henri Rivière. Les artistes squatteurs, plus ou moins de la même manière qu’un écomusée, mettent en valeur leur mode de vie et leur patrimoine naturel et culturel. Ainsi, les squats artistiques auraient-ils trouvé leur «genre muséal » ? La question est difficile : G.-H. Rivière disait «l’écomusée n’est pas musée !». Dans sa réflexion, l’écomusée n’est pas un musée dans le sens où il est plutôt comme un parc naturel, construit par une architecture naturelle et les choix qu’elle impose en matière de conservation.
Et de surcroît, rappelons-le, un squat d’artiste ouvert au public n’a pas de programme scientifique bien qu’il met en valeur une certaine culture de la même manière qu’un musée.  Un squat ne propose alors pas vraiment une étude, à moins d’une «auto-étude» ou «auto-analyse». Cela se comprend encore une fois par le fait qu’il contient des objets en tant que milieu naturel. Ainsi, les questions de tri et de conservation n’ont pas à se poser. Il n’y pas de situation d’urgence à la préservation puisque l’objet du squat (dans le squat) est très actuel et qu’il vit encore dans son milieu d’origine. L’objet du squat artistique est vivant et actif dans son milieu. L’œuvre d’art d’une friche industrielle squattée répond à une utilité en tout temps. Les squatteurs, par les objets qu’ils créent, redonnent vie à un lieu qui auparavant s’était éteint.
Ainsi, cette particularité de n’avoir pas à acquérir des objets pour les exposer, de fabriquer des œuvres dont le message de protestation est très fort, de créer sur le lieu d’exposition et d’y vivre, rend l’ambiance d’un squat complètement différente de celle d’un musée. Un squat d’artistes est un lieu où l’on  affiche une mémoire urbaine vivante et véhémente. Il est donc différent d’un musée qui, quant à lui, est un lieu de commémoration, qui prend la forme d’une sorte d’espace d’accompagnement silencieux de l’oubli.

Reconnaissance et avenir des squats artistiques :
En ce qui concerne la reconnaissance des squats d’artistes, le sujet est très épineux. Les squats bénéficient d’une reconnaissance certaine de la part des médias et du public, mais pour ce qui est de celle des institutions et du milieu juridique, l’affaire est beaucoup plus compliquée. Ceci car les pouvoirs publics ont tendance à ne prendre en considération qu’une partie des revendications des artistes, relatives notamment au manque d’ateliers disponibles. Et généralement ils ne se préoccupent pas de la dimension culturelle des squats. Quelques initiatives ont tout de même été envisagées, notamment en France avec par exemple l’idée du rachat par les collectivités locales de certains squats médiatiques (59 Rivoli à Paris, Mix Art Myris à Toulouse). Mais comme les squats artistiques ne bénéficient d’aucun financement, le rachat n’a pas pu être possible.  Pour le cas du 59 Rivoli, les squatteurs ont du trouver un arrangement avec la mairie de Paris. Celle-ci leur a laissé le droit disposer gratuitement du bâtiment pour y travailler et pour continuer leur mission, à condition qu’ils le rénovent. Le bâtiment a connu deux ans de travaux et de remise aux normes. Aujourd’hui l’eau, l’électricité et le chauffage sont installés et les normes en matière de confort et de sécurité sont respectées. De la sorte, le squat ne connaît plus trop de problèmes avec les pouvoirs publics, mais il attend toujours une forme de reconnaissance et un éventuel financement de la part des institutions (ministère de la Culture). En effet, les squats artistiques, du moins les squats de France, ne reçoivent aucun financement de la part de la direction des musées de France (ministère de la Culture). Et ceci pour de nombreuses raisons, dont certaines sont exposées dans cet article, mais l’une des principale c’est le fait que les squats artistiques ne possèdent pas de réelle collection. L’idée de créer des collections par thèmes et de les exposer au public est le point de départ de la création d’un musée. Mais les squats peinent à créer des groupements d’objets correspondants à un même thème et à gérer ceux-ci. Ceci car les squats sont des phénomènes mouvants et éphémères. La production d’œuvres ne peut alors pas vraiment s’inscrire dans une continuité et former ainsi des collections.
L’avenir des squats artistiques paraît moribond. Les chiffres qui annoncent le nombre d’expulsions des squatteurs dans les médias sont alarmants. Une solution serait peut-être d’arrêter de s’en remettre aux ministères de l’Intérieur et de tenter de dialoguer posément avec les ministères de la Culture et de la Communication.
On l’aura compris, à l’heure actuelle les squats ne sont pas vraiment les nouveaux lieux de la muséologie. Tout au moins, ils intéressent beaucoup l’ethnologie et ceci bien qu’ils soient un sujet d’étude complexe dans la mesure où ils placent l’ethnographe dans une posture plutôt inédite. En effet, ce dernier se retrouve entre une population « autochtone » et en même temps un public présent.
T.B.

Films

Film fantastique, sauna et puériculture

Le programme Cold Sweat mettait à l’honneur le cinéma fantastique scandinave. Il n’est donc pas inattendu de le voir traiter de la culture traditionnelle nordique. Certaines approches demeurent cependant surprenantes. Avant la projection de son œuvre Sauna, Antti-Jussi Annila nous parle plus en détails de la culture finnoise qui y est liée. Son but est traditionnellement de purifier tant le corps que l’esprit, si bien qu’on y lave les nouveaux-nés et même les corps à ensevelir. On apprend aussi que la majorité de la population finlandaise possède le sien et concède une grande importance à ce lieu destiné au repos et à la ressource de soi. Dans son film, cependant, AJ Annila accorde en sus au sauna la capacité de laver la conscience et, disons-le aussi, donner le désir de saigner tout un village. A l’inverse de son image actuelle, le sauna y apparaît comme un austère bunker d’un béton glaçant qui jure avec le marécage au centre duquel il se trouve. Effrayant, sans même mentionner ce qu’on découvre à l’intérieur. C’est dans ce décor lugubre du 16e siècle, en pleine forêt, que l’on voit des représentants suédois et russes tracer la frontière jusqu’à ce qu’ils tombent sur un village dont personne ne voudra finalement. D’autres personnalités du cinéma nordique ont assisté au festival. Certains sont venus présenter leur film et ont participé à une conférence publique très intéressante et ouverte. Malgré son absence, Anders Morgenthaler ne nous a pas laissés indifférents par son film Ekko, qui a été le coup de cœur de larticle.ch. Le deuxième long métrage du réalisateur danois prend place en bord de mer, dans une maison isolée au milieu d’une presqu’île de verdure. Un père divorcé kidnappe son fils et l’y emmène, pour le plus grand plaisir du petit Louie qui croit à d’ordinaires vacances. Les fantômes de l’enfance du paternel fugitif hantent l’endroit et le poussent à la limite de la schizophrénie. Les derniers moments passés entre père et fils en sont d’autant plus haletants. Il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas fondre d’émotion devant la performance du très jeune acteur qui imprègne ce thriller de sa spontanéité. En conséquence, le spectateur se trouve piégé entre angoisse et désir d’évasion. De manière similaire, Let The Right One In, meilleur film européen l’année dernière, exposait la relation entre un jeune de 12 ans et une fillette vampire. L’aspect morbide s’effaçait aisément devant une romance attendrissante, encore une fois grâce à un admirable jeu des acteurs. Et si la présence d’enfants dans un thriller lui garantissait de saisir son audience? Car parallèlement aux tendres émotions viennent les plus fortes, dont l’horreur fait partie et qui sont parfois amenées par ces garnements. A citer pour illustration, un film présenté en compétition internationale au titre révélateur, The Children ou comment un weekend en famille tourne à la boucherie lorsque les chérubins décident de se débarrasser de leurs parents. Le résultat est convaincant. En effet, le public se laisse plus facilement effrayer lorsque le meurtrier porte jupette et mèches blondes et est haut comme trois pommes. Lors de la projection, l’audience se déchirait en applaudissements à chaque fois qu’un enfant était éliminé, dans des circonstances décidément gores bien sûr. Etait-ce pour flatter l’audace du directeur ou par soulagement, difficile de trancher. La seule certitude est que la formule infantile porte ses fruits, pour autant qu’elle soit bien ajustée. Quelques succès populaires tels que The Ring ou The Grudge ne peuvent que confirmer. Reste à mettre la main sur un bambin prometteur, car ne naît pas acteur qui le veut bien.
T.Z.