L’accumulation à outrance est une pathologie : la syllogomanie. Personne ne la connaît et pourtant tout le monde en possède les premiers symptômes. Est-ce plutôt la maladie du système capitaliste ou de notre siècle comme la débauche au temps d’Alfred de Musset ? Quoi qu’il en soit il n’est pas question de confession dans Homer et Langley de E.L. Doctorow. Quoique.
Avouez qu’il vous arrive de garder et d’entasser parfois des objets sans importance. Nous collections tous des choses que nous n’utilisons pas et les accumulons parfois honteusement dans une armoire, un tiroir ou une remise. Nous les cachons souvent. Un simple coup d’œil dans notre salon ou notre chambre en est parfois une preuve étonnante.
Tout commence par une collection de cartes téléphoniques ou de timbres qui deviennent soudain des pendules à coucou de la fin du 18ème siècle ou des fers à cheval du moyen âge. Là, il faut impérativement consulter ! Un syllogomane apparaît parfois dans les faits divers des journaux. Une personne est retrouvée morte dans un appartement sous un tas de broutilles. D’accord ce n’est pas joyeux mais le rire arrive tantôt.
Évidemment nous parlons d’une pathologie. Alors qu’est-ce que des livres entassés dans une bibliothèque à la limite de l’explosion ? Ce n’est rien de grave. Au contraire, c’est peut-être le présage d’une mort par asphyxie dans le papier et l’encre ou la clé du savoir. L’avenir le montrera à chaque boulimique de mots et de littérature. Mais avant cela, rions encore un peu et surtout vivons beaucoup.
Langley, lui, restait calme et méditatif, comme s’il n’y avait rien au monde de plus naturel que de se retrouver dans les Tombs à trois heures du matin. Il me dit qu’il avait sauvé de la destruction toute une caisse de disques. À ce moment-là, c’était le dernier de mes soucis. On fonctionne, avec les facultés que l’on possède, presque comme si l’on était équipé normalement. Et puis arrive une chose comme celle-ci et on réalise à quel point on est déficient.
Alors rions franchement avec Homer et Langley de E.L. Doctorow. Le livre est librement inspiré de l’histoire vraie des frères Collyer. Mais que vient faire la syllogomanie dans cette histoire ? C’est ce qui doit vous démanger l’esprit présentement. Et bien plus que vous ne pensez. Vous traverserez cocassement le 20ème siècle avec ce roman, plus particulièrement ses différentes guerres et autres crises migratoires. Jusque-là tout à l’air bien trop sérieux et presque ennuyeux. C’est vrai.
Mais il y a Homer, le pianiste aveugle, et son frère Langley, ancien soldat et philosophe cocasse obsédé par la création « d’un numéro de journal unique pouvant être lu à perpétuité, car suffisant pour tous les jours à venir ». Rien que ça. Tout de suite l’intérêt grandit. Et les deux personnages ne tardent pas à saccager, à leur manière folle et loufoque, une propriété luxueuse sur la Cinquième Avenue faisant face à Central Park. Cela ne se fait pas en une seule nuit ni une semaine ni des mois. Mais ils s’appliquent à détruire la demeure familiale sans le vouloir durant de nombreuses années.
Le voyage ne s’arrête pas là car les deux frères accueillent successivement plusieurs personnages. Ils hébergent ainsi un couple de migrants japonais fuyant les conséquences de la deuxième guerre mondiale, des hippies qui transforment alors la bâtisse en maison communautaire, en salle de concert et en lieu de plaisirs charnels. Un joueur de Cornet rend également visite à sa mère, la cuisinière des deux frères. Les agents de police corrompus en prennent aussi pour leurs grades. Sans oublier l’arrivée soudaine de Vincent; un criminel blessé qui surgit une nuit et finit par attacher les deux frères avant de prendre la fuite. Et ce ne sont que quelques apparitions drolatiques parmi une flopée de caractères plus étonnants les uns que les autres.
L’ensemble forme une véritable ode à la fraternité et à l’humour. C’est dès lors un roman d’amour fraternel où un homme cherche avant tout à améliorer le quotidien de son frère atteint de cécité. Mais la particularité des frères Collyer faisaient qu’ils ne pouvaient pas avoir une vie normale. C’est pourquoi E.L. Doctorow utilise leur situation pour rendre un fait divers morbide plus lumineux et même drôle. Et pourquoi la syllogomanie apparaît en introduction de cet article ? Pour les raisons qui expliquent tous les événements du livre. Alors, lisez-le !